Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tre disciple par l’habitude de vous imiter, votre semblable par le caractère ? Ce n’est pas, juges, que je ne le visse volontiers devenir sage et vertueux, car je m’inquiète peu de l’inimitié qui pourra exister entre lui et moi. Si je me montre intègre dans toutes les circonstances de ma vie, si je ne me démens pas, en quoi son inimitié pourra-t-elle me nuire ? Mais si je ressemble en quelque chose à Verrès, je ne manquerai pas plus d’ennemis qu’il n’en a manqué lui-même. En effet, Romains, la république doit être assez bien constituée (et elle le sera avec de sévères tribunaux) pour qu’un coupable ne puisse manquer d’ennemis, et qu’un ennemi ne puisse nuire à un homme innocent. Je n’ai donc aucune raison pour ne pas vouloir que le fils de Verrès renonce aux désordres et aux vices de son père. La chose est difficile, mais peut-être n’est-elle pas impossible, surtout si, comme à présent, il est surveillé par les amis de son père, puisque le père est si lâche et si indifférent. Mais je me suis écarté, plus que je ne voulais, de la lettre de Timarchide. J’avais promis de terminer par cette lecture ce qui regarde le blé dîmé ; vous avez vu quelle immense quantité de grains Verrès a, pendant trois ans, soustraite ainsi à la république et enlevée aux cultivateurs.

LXX. Je dois, juges, vous parler maintenant du blé acheté, c’est-à-dire, du vol de Verrès le plus effronté et le plus grave. Je traiterai brièvement cette seconde partie : prêtez-moi votre attention : je ne dirai rien qui ne soit aussi important qu’incontestable. Verrès devait acheter du blé dans la Sicile en vertu d’un sénatus-consulte, en vertu des lois Térentia et Cassia concernant les blés. Il est deux sortes de blés qu’on achète : c’est ou une seconde dîme qu’on oblige de vendre, ou une certaine quantité de grains qui doivent être aussi vendus, répartie dans une juste proportion sur toutes les villes. La quantité de blé de la seconde dîme est réglée sur la première ; l’autre sorte de blé consiste en huit cent mille boisseaux que nous achetons tous les ans. Le prix, pour l’un, est fixé à trois sesterces par boisseau ; à quatre pour l’autre. Ainsi, pour ce dernier, on donnait à Verrès, chaque année, trois millions deux cent mille sesterces qu’il devait payer aux agriculteurs ; on lui en donnait, pour le premier, environ neuf millions. Ainsi, pendant trois ans, on a assigné à Verrès, pour tous les achats de blé en Sicile, près de trente-sept millions de sesterces. Cette somme immense, une somme donnée au préteur sur un trésor pauvre et épuisé, donnée pour acheter le blé nécessaire à notre subsistance, aux premiers besoins de la vie ; donnée pour payer les agriculteurs siciliens auxquels la république imposait de si grandes charges ; je le soutiens, Verrès, vous l’avez tellement dissipée, que je puis vous convaincre, si je le veux, de l’avoir détournée et transportée tout entière dans votre maison : car, d’après la manière dont vous l’avez administrée, je puis, sans peine, démontrer ce que j’avance à tout juge équitable. Mais je considérerai ce que je me dois à moi-même ; je me rappellerai dans quel esprit, dans quelle vue je me suis chargé de cette cause