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buns ; ils leur ont ordonné de sortir de leur province, persuadés que, par la faute de ces agents, ils ne jouissaient pas eux-mêmes d’une bonne réputation, ou parce qu’ils les jugeaient coupables de quelque délit grave : et un Apronius, un homme à peine libre, un pervers, un scélérat, souillé de crimes et d’opprobres, dont l’âme est aussi infecte que l’haleine ; vous auriez craint, lorsque votre honneur était si fort compromis, de le blesser par quelque parole un peu sévère ! Non, certes, vous n’auriez jamais respecté assez les saints nœuds de votre association pour rester indifférent à vos risques personnels, si vous n’aviez reconnu vous-même combien votre infamie était connue et notoire. Depuis, P. Scandilius, chevalier romain, que vous connaissez tous, intenta au même Apronius, au sujet de cette association, le même procès qu’avait voulu lui intenter Rubrius. Il le poursuivit, le pressa, ne lâcha point prise : il déposa cinq mille sesterces, et demanda des commissaires ou un juge.

LIX. Vous semble-t-il qu’on ait assez investi un préteur coupable, dans sa province, que dis-je ? sur son siége et sur son tribunal ; qu’on l’ait réduit, ou à se laisser juger pour crime capital, lui-même présent et siégeant, ou à s’avouer convaincu et condamné devant quelque tribunal que ce soit ? On s’engage à prouver qu’APRONIUS S’EST DIT VOTRE ASSOCIÉ POUR LES DIMES : c’est dans votre province qu’on l’attaque ; vous êtes présent ; on vous demande des juges ; que faites-vous ? que prononcez-vous ? Vous dites : Je donnerai des commissaires. Fort bien. Cependant, quels seront les commissaires d’une âme assez forte, pour oser, dans une province où un prêteur gouverne, juger, je ne dis pas seulement contre sa volonté, mais contre ses plus grands intérêts ? mais je veux bien qu’on en eût trouvé ; la chose était publique, et il n’y avait personne qui ne déclarât formellement l’avoir entendu dire, et les hommes les plus riches en étaient les premiers témoins ; il n’y avait personne, dans toute la Sicile, qui ne sût que les dîmes étaient au prêteur ; personne à qui on n’eût dit qu’Apronius le publiait partout : de plus, il y avait à Syracuse un corps nombreux de citoyens illustres et de chevaliers romains, parmi lesquels il fallait choisir des commissaires qui n’auraient pu prononcer que la vérité. Scandilius insiste, il demande des commissaires. Alors Verrès, cet homme pur et intègre, qui voulait écarter et dissiper tout soupçon sur sa vertu, annonce qu’il prendra des commissaires parmi ses satellites.

LX. Grands dieux ! quel est l’homme que j’accuse ? quelle est la cause dans laquelle je veux donner des preuves de mon zèle et de ma fidélité ? qu’est-il besoin ici de mes paroles ou de mes réflexions ? que peuvent-elles faire ou obtenir ? Au milieu des domaines du peuple romain, au milieu des récoltes mêmes de la province de Sicile, je le tiens, je le tiens ce déprédateur public, qui détourne à son profit tous les grains et un argent immense ; je le tiens, dis-je, en flagrant délit, sans qu’il puisse nier. En effet, Verrès, que direz-vous ? On intente à Apronius, votre commissionnaire, un procès où vos plus grands intérêts sont compromis ; on l’attaque comme ayant publié qu’il était votre associé pour les dîmes. Tout le monde est impatient de savoir combien vous prendrez la chose à cœur, comment vous sauverez votre réputation aux yeux du public, comment vous le persuaderez de votre innocence. Et c’est alors que vous donnerez pour commissaires, votre médecin, votre aruspice, votre huis-