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dira peut-être que je suis injuste de juger du vol et du butin par la grandeur du bénéfice. Mais si je montre, Verrès, que ceux qui extorquent quatre cent mille boisseaux de bénéfice auraient perdu, si votre iniquité et les commissaires pris parmi vos satellites ne fussent venus à leur secours ; doutera-t-on, en voyant un si grand bénéfice extorqué si injustement, doutera-t-on que votre cupidité ne vous ait porté à faire des profits immenses, et qu’à son tour l’immensité des profits n’ait enflammé votre cupidité ?

XLVII. Comment donc, juges, parviendrai-je à connaître le bénéfice qu’a extorqué Apronius ? Ce n’est point par ses registres : je les ai cherchés sans pouvoir les trouver ; et lorsque je le citai devant le juge, je le forçai de dire qu’il ne tenait pas de registres. S’il mentait, pourquoi écartait-il des registres qui n’auraient pu vous nuire ? si réellement il n’en avait point tenu, cela même n’est-il pas une preuve suffisante que ce n’était point pour lui-même qu’il agissait ? Les dîmes ne peuvent s’exploiter sans beaucoup de registres. Il faut nécessairement des registres pour y porter les noms des agriculteurs et les arrangements faits avec chacun. Tous les cultivateurs, d’après vos ordres et vos règlements, ont déclaré les arpents qu’ils faisaient valoir. En ont-ils déclaré moins ? Je ne le pense pas ; ils avaient à craindre trop de tortures, trop de supplices, trop de commissaires pris parmi vos satellites. Dans un arpent du territoire de Léontini, on sème chaque année régulièrement près d’un médimne de blé. On est heureux quand ce médimne en rapporte huit ; s’il en rapporte dix, c’est un bienfait des dieux. Si la récolte va quelquefois jusque-là, il arrive alors qu’il y a autant à dîmer qu’on a semé ; c’est-à-dire, que, pour la dîme, on doit autant de médimnes qu’on a ensemencé d’arpents. Dans cet état de choses, je dis d’abord que les dîmes du territoire de Léontini ont été affermées plusieurs milliers de médimnes plus qu’il n’y a eu d’arpents ensemencés dans ce territoire. S’il était impossible qu’on recueillît plus de dix médimnes d’un arpent, si l’on ne devait au décimateur qu’un médimne par arpent, quand le médimne semé, ce qui est fort rare, en avait rapporté dix ; quelle raison, si c’étaient les dîmes qui étaient adjugées et non les biens des cultivateurs, pouvait porter le décimateur à se les faire adjuger pour plus de médimnes qu’il n’y avait d’arpents ensemencés ?

XLVIII. Suivant les déclarations, il n’y a pas plus de trente mille arpents dans le territoire de Léontini. Les dîmes ont été affermées trente-six mille médimnes. Apronius se trompait-il ? ou bien était-il fou ? Il aurait fallu, sans doute, l’accuser de folie, s’il eût été permis aux agriculteurs de ne lui donner que ce qu’ils lui devaient, s’ils n’eussent pas été contraints de livrer tout ce qu’il leur demandait. Si je montre que personne n’a donné pour dîme moins de trois médimnes par arpent, vous m’accorderez, je pense, que personne n’a donné moins de trois dîmes, en supposant que les terres aient donné un produit décuple. Or on a demandé à Apronius comme une grâce, qu’il fût permis de transiger pour trois médimnes par arpent. En effet, comme il y en avait plusieurs dont on exigeait quatre médimnes et même cinq ; plusieurs même à qui, de toute la récolte et de tout le travail d’une année, on ne laissait pas un seul grain, ni même la paille. Les agriculteurs de Centorbe, dont le nombre est