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ses, commises par la violence, autorisées par vous, ne devraient-elles pas vous faire haïr et condamner ? Mais comme il est impossible que vous persuadiez à qui que ce soit que vous avez été assez insensé pour vouloir qu’un Apronius et un Turpion, ces vils esclaves, s’enrichissent à vos périls, aux périls de vos enfants, doutera-t-on, je vous le demande, que ce ne soit pour vous que ces émissaires ont recueilli tout cet argent ? Ségeste est une ville franche ; on dépêche aussi contre elle le décimateur Symmaque, esclave de Vénus. Il présente une lettre de Verrès, qui, au mépris de tous les sénatus-consultes, de tous les droits, de la loi Rupilia, porte que les cultivateurs s’engageront à plaider devant d’autres juges que leurs juges naturels. Voici la lettre écrite aux Ségestains. LETTRE DE C. VERRÈS. Vous allez voir comment l’esclave, a traité les cultivateurs ; je vous en convaincrai par le seul arrangement fait avec un homme honorable et estimé de ses concitoyens : le reste est dans le même genre. Dioclès de Palerme, surnommé Phimès, homme illustre et agriculteur distingué, avait pris à ferme, pour six mille sesterces, une terre dans les campagnes de Ségeste ; car les citoyens de Palerme font valoir dans ces campagnes. Dioclés ayant été frappé, pour la dîme, par l’esclave de Vénus, s’arrangea pour lui donner seize mille six cent cinquante-quatre sesterces. Ses registres vont vous le prouver. REGISTRES DE DIOCLÈS DE PALERME. Annéius Brocchus, ce sénateur, dont vous connaissez la noblesse et la vertu, a été forcé de donner au même Symmaque de l’argent outre le blé. Un tel homme, un sénateur du peuple romain, s’est donc vu, sous votre préture, rançonné par un esclave de Vénus.

XLI. Si vous aviez oublié tout ce qu’on doit à la dignité de cet ordre, ne saviez-vous pas qu’il était chargé de la justice ? Quand le droit de juger appartenait à l’ordre équestre, les magistrats pervers et cupides respectaient du moins, dans leurs provinces, les fermiers publics ; ils accordaient des distinctions à ceux qui étaient employés dans les fermes ; tout chevalier qu’ils voyaient dans leur gouvernement, ils le comblaient de bienfaits et d’égards ; et ces attentions n’étaient pas aussi utiles aux coupables, qu’il leur était nuisible d’avoir agi en quelque chose contre les intérêts et le vœu de cet ordre. C’était alors, parmi les chevaliers romains, une règle invariable, établie par eux comme de concert, que celui qui avait jugé un seul chevalier romain digne d’essuyer un affront, devait être jugé, par tout l’ordre, digne d’éprouver une disgrâce. Et vous, Verrès, vous avez méprisé l’ordre des sénateurs ; vous avez étendu sur eux toutes vos criantes injustices et vos tyranniques exactions ; vous avez résolu et pris soin de récuser pour juge tous ceux qui avaient habité, ou mis le pied dans la Sicile sous votre préture, sans faire réflexion qu’il vous faudrait toujours avoir pour juges des hommes de cet ordre ? Et quand même ces juges ne seraient animés contre vous par aucun sujet de plainte personnelle, ils peuvent croire néanmoins qu’ils ont été insultés dans l’injure faite à un de leurs membres ; que, dans la personne d’un seul, la dignité de tout l’ordre a été méprisée et avilie ? Or le mépris, Romains, est ce qu’il y a de plus difficile à dévorer. Tout affront est fait pour piquer et révolter une âme noble et généreuse. Vous avez, Verrès, dépouillé les Siciliens : les injures faites aux provinces ne demeurent que trop souvent impunies. Vous avez