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Romains, que le préteur lui-même ne soit décimateur, puisque ses appariteurs font donner du blé aux villes, puisqu’ils exigent des sommes d’argent, puisqu’ils emportent, à titre de bénéfice, plus qu’ils ne doivent donner au peuple romain à titre de dîmes ? Telle a été, Verrès, l’équité de votre gouvernement ; telle a été votre dignité comme préteur, que vous avez rendu des esclaves de Vénus maîtres des Siciliens. Telle a été, pendant votre magistrature, la distinction des états et des conditions, que les agriculteurs étaient au nombre des esclaves, et les esclaves au rang des fermiers de nos domaines.

XXXIX. Et les malheureux habitants d’Amestra, quoiqu’on leur eût imposé des dîmes si fortes qu’il ne leur restait rien, n’ont-ils pas toutefois été forcés de compter de l’argent ? Les dîmes sont adjugées à Césius en présence des députés de la ville : on force sur-le-champ Héraclius, un des députés, de compter à l’adjudicataire vingt-deux mille sesterces[1]. Quelle conduite ! quelle violence ! quelle rapine ! quel indigne pillage des alliés ! Si Héraclius avait reçu ordre de son sénat de prendre le bail des dîmes, il l’avait prise ; sinon, comment pouvait-il, de son chef, compter une somme d’argent ? Il déclare à son retour qu’il l’a donnée à Césius. Vous allez en être instruits par les registres publics. Lisez l’extrait des registres. EXTRAIT DES REGISTRES. Quel décret de son sénat autorisait Héraclius à compter de l’argent ? aucun. Pourquoi en a-t-il compté ? il y a été contraint. Qui le dit ? toute la ville. Lisez la déposition. DÉPOSITION DE LA VILLE D’AMESTRA. Vous voyez, par la même déposition, que la seconde année, pour une raison pareille, on a extorqué à la même ville, et donné à Sext. Vennonius une somme d’argent. Mais après avoir adjugé à Banobal, esclave de Vénus (apprenez, Romains, les noms des fermiers de vos domaines), après lui avoir adjugé pour huit cents médimnes de blé les dîmes des habitants d’Amestra, hommes peu riches, Verrès les force d’ajouter, comme bénéfice, plus que les dîmes n’avaient été affermées, encore que l’adjudication en eût été portée fort haut. Ils donnent à Banobal, pour huit cents médimnes de blé, quinze cents sesterces. Assurément, Verrès n’eût pas poussé la démence jusqu’à souffrir que, sur un domaine du peuple romain, on donnât à un esclave de Vénus plus qu’au peuple romain, si tout ce butin, enlevé au nom d’un esclave, n’eût pas été pour lui-même. Les habitants de Pétra, malgré l’adjudication très élevée de leurs dîmes, ont été forcés de donner trente-sept mille cinq cents sesterces à P. Névius Turpion, homme pervers, et qui fut condamné pour des violences sous la préture de Sacerdos. Aviez-vous donc, Verrès, affermé si peu les dîmes, que, lorsque le médimne valait quinze sesterces, et que les dîmes étaient affermées trois mille médimnes, c’est-à-dire, quarante-cinq mille sesterces, vous accordiez au décimateur trois mille sesterces de bénéfice ? — Mais, direz-vous, j’ai adjugé fort cher les dîmes de ce territoire. — C’est se vanter alors, non d’avoir procuré un bénéfice à Turpion, mais d’avoir volé les habitants de Pétra.

XL. Et la ville d’Halicye, où les dîmes, payées par les étrangers qui y résident, ne le sont pas par ceux du pays, n’a-t-elle pas été forcée de donner quinze mille sesterces au même Turpion, quoique les dîmes n’eussent été affermées que cent médimnes ? Quand vous pourriez prouver, comme c’est votre plus grand désir, que tout le gain a été pour les décimateurs, des exactions aussi odieu-

  1. 2,750 liv. A.