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indifférence, qu’un préteur ait retranché du tribut qui se paye à l’empire ? Il ne s’est encore rencontré qu’un seul homme, depuis que Rome existe (fassent les dieux qu’il ne s’en rencontre pas un second ! ), à qui la république se soit livrée tout entière, forcée par les circonstances et les discordes intestines : c’est L. Sylla. Son pouvoir fut tel, que personne, n’était sûr de conserver ni ses biens, ni sa patrie, ni ses jours ; et telle était sa confiance audacieuse que, lorsqu’il vendait les biens des citoyens romains, il ne craignait pas de dire, en pleine assemblée, qu’il vendait son butin. Loin de rien changer à ce qu’il a fait, dans la crainte de plus grands désordres et de plus grands malheurs, nous autorisons, et maintenons tous ses décrets. Il en est un seul qu’on a réformé par un sénatus-consulte : il a été décidé que ceux pour lesquels il aurait retranché de l’impôt public, rapporteraient les deniers au trésor. Ainsi l’a statué le sénat ; celui même à qui l’on avait accordé, tout pouvoir, n’avait pas celui de diminuer les ressources dont le recouvrement était dû à ses armes et à son courage. Les pères conscrits ont jugé que Sylla n’avait pu prendre sur les fonds publics pour donner à des hommes pleins de courage ; et les sénateurs jugeront que vous, Verrès, vous aviez le droit d’en gratifier une infâme courtisane ! Celui pour qui le peuple avait ordonné par une loi que sa volonté ferait loi dans la république, a cependant été repris dans ce seul point par respect pour les lois anciennes ; et vous, Verrès, que toutes les lois tenaient enchaîné, vous avez voulu que votre caprice fît loi ! On blâme Sylla d’avoir pris sur les fonds que lui-même avait recouvrés, et à vous, on vous passera d’avoir pris sur les revenus du peuple romain !

XXXVI. Dans ce genre d’audace, il a montré plus d’impudence encore que pour les dîmes de Ségeste. Il les avait adjugées au même Docimus pour cinq mille boisseaux de blé, et une indemnité de quinze mille sesterces. Il força la ville de Ségeste de les prendre de Docimus aux mêmes conditions ; ce que vous allez voir par la déposition des Ségestains. Lisez la déposition. DÉPOSITION DES HABITANTS DE SÉGESTE. Vous venez d’entendre à quelles conditions la ville de Ségeste a pris de Docimus les dîmes, pour cinq mille boisseaux de blé, et quinze mille sesterces. Apprenez maintenant, d’après sa propre loi, combien Verrès a déclaré les avoir affermées. LOI POUR L’ADJUDICATION DES DÎMES SOUS LA PRÉTURE DE C. VERRÈS. Vous voyez qu’il a retranché ici trois mille boisseaux de la somme de blé qui doit revenir au peuple romain : c’est notre subsistance, c’est le plus important de nos revenus, c’est le sang même du trésor qu’il a abandonné à la comédienne Tertia. Enlever cette quantité de grains à des alliés, quelle effronterie ! La donner à une prostituée, quelle infamie ! L’ôter au peuple romain, quel attentat ! Falsifier des registres publics, quelle audace ! Aucune puissance, aucune largesse, pourront-elles, Verrès, vous dérober à la sévérité des juges ? Mais, si vous pouviez y échapper, ne voyez-vous pas que tous ces délits sont du ressort d’un autre tribunal, et appartiennent au jugement de péculat ? Je me réserve donc ce chef tout entier, et je reviens à l’objet que je me suis proposé, à l’article des blés et des dîmes.