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saires tirés d’une troupe de brigands, consentait pourtant à être jugé. Alors Verrès ordonne aux esclaves de Vénus, assez haut pour que Xénon pût l’entendre, de le garder à vue pendant qu’on le jugerait, et de le lui amener lorsqu’on aurait prononcé la sentence ; et en même temps il ajoute : Si ses richesses lui font mépriser la condamnation à une amende, je ne crois pas qu’il méprise aussi les verges. Xénon, tremblant à cette menace, paya aux décimateurs tout ce que Verrès ordonna de payer.

XXIII. Polémarque, de Morgante, est un homme honnête et distingué. On exigeait de lui sept cents médimnes de blé pour la dîme de cinquante arpents. Sur son refus, on le traîne, pour le juger, au palais du préteur. Celui-ci était encore couché ; on fait entrer Polémarque dans sa chambre, qui n’était ouverte qu’aux femmes et à son décimateur. Là, meurtri de coups, il promet mille médimnes, après en avoir refusé sept cents.

Eubulide Grosphus, de Centorbe, en est le premier par son mérite, par sa naissance, par ses richesses. Sachez, Romains, que ce noble citoyen d’une si noble ville a abandonné de son blé, je dis même de son sang et de sa vie, autant qu’il a plu au tyran Apronius : car la violence, les coups et les mauvais traitements l’ont contraint à donner de blé, non ce qu’il avait, mais ce qu’il était forcé de donner.

Sostrate, Numénius, et Nymphodore, trois frères de la même ville, possédant le même héritage, s’étaient enfuis de leurs campagnes, parce qu’on leur demandait plus de blé qu’ils n’en avaient recueilli. Apronius, à la tête d’une troupe armée, se jeta sur leurs terres, enleva tous les instruments de labourage, emmena les esclaves et les troupeaux. Depuis, Nymphodore étant venu le trouver à Etna, et le priant de lui restituer ce qui lui appartenait, il le fit saisir et suspendre à un olivier sauvage dans la place publique d’Etna. Ainsi, Romains, au milieu d’une ville et d’une place publique de nos alliés, un ami et un allié de Rome, son fermier et son laboureur, resta suspendu à un arbre tout le temps que le caprice d’Apronius le trouva bon.

Je viens, juges, de vous citer plusieurs faits particuliers qui peuvent donner une idée de ces innombrables vexations ; mais je n’en exposerai pas devant vous la multitude infinie. Représentez-vous, mettez-vous sous les yeux les violences des décimateurs par toute la Sicile, le pillage de tous les biens des cultivateurs, l’arrogance de Verrès, la tyrannie d’Apronius. Verrès a méprisé les Siciliens ; il ne les a pas regardés comme des hommes ; il a cru qu’ils n’auraient pas la force de le poursuivre en justice, et que vous verriez leurs infortunes d’un œil indifférent.

XXIV. Soit ; il a eu des Siciliens une idée fausse, et de vous, une opinion mauvaise : mais s’il a maltraité les Siciliens, il a traité avec égard les citoyens romains ; il les a ménagés ; il s’est prêté à leurs désirs ; il a tout fait pour leur plaire. Lui, ménager les citoyens romains ! Il a été leur ennemi le plus cruel, le plus acharné. Je ne parle point des prisons, des chaînes, des verges, des haches, enfin de cette croix qu’il a élevée comme un témoignage de sa douceur et de sa bienveil-