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t-il été porté à cette démarche par cette multitude de Siciliens qui s’étaient rendus à Rome, et par les commerçants de la Sicile ? Qui ne sait en quel nombre ils s’assemblaient chez les Marcellus, ces anciens protecteurs de la Sicile ; chez Pompée, consul désigné ; et chez les autres amis de cette province ? Quel préjugé contre un homme d’avoir été, même avant de quitter sa province, accusé publiquement par ceux dont les biens et les enfants étaient soumis encore à son pouvoir, à son autorité souveraine ! Les injustices de Verrès étaient si criantes, qu’on aimait mieux s’exposer à tout souffrir que de ne pas exhaler sa douleur et ses plaintes contre la perversité et les vexations du préteur. Métellus avait envoyé dans toutes les villes cette lettre presque suppliante ; et cependant il ne parvint nulle part à faire ensemencer les terres comme autrefois. Une foule d’agriculteurs, ainsi que je le montrerai, avaient pris la fuite, et non seulement ils avaient renoncé à la culture, mais les persécutions de Verrès leur avaient fait abandonner les foyers paternels.

Non, Romains, ce n’est point une exagération de ma part ; je ne ferai que vous exposer simplement et avec vérité le sentiment que j’ai éprouvé en revoyant la Sicile. Lorsqu’au bout de quatre ans, je retournai dans cette province, elle me parut comme ces pays qu’ont désolés les ravages d’un guerre longue et cruelle. Ces campagnes et ces collines, que j’avais vues auparavant si belles et si florissantes, je les voyais alors dans un état d’abandon et de dévastation : le sol même paraissait redemander son cultivateur et pleurer son maître. Les territoires d’Herbite, d’Enna, de Morgante, d’Assore, d’Imachara, d’Agyrone, étaient déserts en grande partie, et je n’y retrouvais plus ni cette étendue de terres labourées ni cette multitude de propriétaires. Le territoire d’Etna, ordinairement si bien cultivé, la principale source des approvisionnements ; celui de Léontini, qui donnait auparavant de si belles espérances que, lorsqu’il était ensemencé, on ne craignait plus la disette : ces deux territoires étaient alors si hérissés de ronces et si défigurés, que, dans la partie la plus riche de la Sicile, nous cherchions la Sicile même. L’avant-dernière année avait déjà extrêmement gêné les laboureurs ; la dernière les avait entièrement ruinés.

XIX. Et vous osez encore nous parler de dîmes ! Quoi donc ! la Sicile ne subsiste que par la culture et par les lois qui règlent la culture : vous y avez, par toutes vos cruautés, toutes vos injustices, toutes vos vexations, entièrement ruiné les agriculteurs ; vous les avez contraints d’abandonner les campagnes ; dans une province si riche et si fertile, vous n’avez rien laissé à personne, pas même l’espérance ; et après cela, vous croyez avoir acquis quelque titre aux faveurs populaires, si vous pouvez dire que vous avez porté plus haut que les autres l’adjudication des dîmes ? comme si le peuple vous eût ordonné, ou que le sénat vous eût chargé de ravir toutes les fortunes des cultivateurs sous prétexte de dîmes, de priver à l’avenir le peuple romain du fruit et de l’avantage des approvisionnements, et de faire croire ensuite que vous avez bien mérité de la république, parce que vous aurez ajouté à la somme des dîmes une portion de votre butin !