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pour faire subir des vexations à tous ceux qu’il voulait. Quelqu’un avait-il parlé contre son gré, il était cité en justice pour déclaration d’arpents ensemencés. Nombre de cultivateurs se sont vu enlever par cette crainte une grande quantité de blé et de fortes sommes d’argent. Ce n’est pas qu’il fût difficile de déclarer avec vérité tous les arpents ensemencés, et même d’en déclarer davantage : quel danger pouvait-on courir ? Mais il y avait toujours quelque prétexte pour faire citer en justice comme n’ayant pas déclaré suivant l’ordonnance. Or vous devez savoir comment on était jugé sous la préture de Verrès, si vous vous rappelez quels odieux satellites composaient son tribunal. Qu’est-ce donc, Romains, que je veux vous faire conclure de l’iniquité de ces nouveaux édits ? Qu’on a vexé les alliés ? mais la chose est claire. Qu’on a méprisé l’autorité des anciens préteurs ? Verrès n’osera le nier. Qu’Apronius a eu, sous sa préture, un pouvoir sans bornes ? Verrès est obligé d’en convenir.

XVI. Mais peut-être ici, comme la loi vous en fait un devoir, vous me demanderez si Verrès a tiré de l’argent de toute cette manœuvre. Je vous montrerai qu’il en a tiré des sommes immenses, et qu’il atout réglé, pour que les iniquités dont j’ai parlé lui fussent profitables ; mais je veux renverser d’abord le rempart qu’il croit opposer à toutes mes attaques. J’ai fait hausser, dira-t-il, l’adjudication des dîmes. Que dites-vous, ô le plus audacieux et le plus insensé des hommes ? Sont-ce les dîmes que vous avez adjugées ? avez-vous adjugé la partie que voulaient le sénat et le peuple romain, ou les récoltes entières, et même les biens et les fortunes des agriculteurs ? Si le crieur eût publié par votre ordre qu’on affermait, non les dîmes du blé, mais les moitiés, et que les enchérisseurs se fussent présentés pour se les faire adjuger, serait-il étonnant que vous eussiez porté l’adjudication des moitiés plus haut que les autres n’ont fait celle des dîmes ? Mais si le crieur a publié les dîmes, et qu’en effet, c’est-à-dire en vertu de votre loi, de votre édit, de vos dispositions particulières, on ait adjugé même plus que les moitiés, vous ferez-vous cependant un mérite d’avoir porté l’adjudication de ce que vous ne deviez pas adjuger, plus haut que les autres n’ont porté celle de ce qu’ils avaient le droit de vendre ?

J’ai fait hausser plus que les autres l’adjudication des dîmes. Comment avez-vous obtenu cet avantage ? Par votre intégrité ? regardez le temple de Castor ; et ensuite, si vous l’osez, venez parler d’intégrité. Par votre exactitude ? considérez les ratures de vos registres à l’article de Sthénius de Thermes ; et osez ensuite vous dire un homme exact. Par la subtilité de votre esprit ? après vous être refusé, dans la première audience, à l’interrogatoire des témoins, après avoir mieux aimé vous présenter muet devant eux ; dites encore, tant que vous voudrez, que vous avez l’esprit subtil, vous et vos défenseurs. Par quel moyen avez-vous donc rendu cet important service à l’État ? C’est une grande gloire d’avoir surpassé vos prédécesseurs en intelligence, de laisser à vos successeurs un exemple et une autorité. Peut-être n’avez-vous trouvé personne qui fût digne de vous servir de modèle ; mais tous les autres imiteront sans doute en vous l’inventeur d’établis-