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des deux le désire. D’abord, quel démêlé peut-il y avoir lorsque celui qui doit demander enlève ; qu’il enlève, non ce qui lui est dû, mais ce qu’il veut ; et que celui à qui on a enlevé ne peut, en aucune manière, recouvrer par un jugement ce qui lui appartient ? Mais ensuite cet homme abject prétend même ici faire le fin et le rusé. JE DONNERAI, dit-il, DES COMMISSAIRES, SI L’UN DES DEUX LE DÉSIRE. Comme il s’imagine voler adroitement ! Il permet à tous les deux de réclamer des commissaires. Mais qu’importe qu’il dise : Si l’un des deux le désire, ou, si le décimateur le désire ? Eh ! l’agriculteur demandera-t-il jamais vos commissaires ?

Que dirons-nous de l’édit qu’il a rendu sur-le-champ, et par occasion, d’après l’avis d’Apronius ? Q. Septitius, chevalier romain des plus distingués, résistait à Apronius, et protestait qu’il ne donnerait que la dîme ; on voit paraître tout à coup une ordonnance spéciale, qu’on ne pourra enlever son blé de l’aire avant de s’être arrangé avec le décimateur. Septitius supportait encore cette injustice, et il laissait son blé dans l’aire se gâter par la pluie, lorsque soudain on voit éclore cet autre édit si fécond en profits pour son auteur, qu’avant les calendes d’août, toutes les dîmes doivent être portées au détroit de Sicile. Par cet édit, il a livré, pieds et mains liés, à Apronius, non les Siciliens (ses précédentes ordonnances les avaient déjà assez épuisés, assez ruinés), mais les chevaliers romains eux-mêmes, qui avaient cru pouvoir conserver leurs droits contre Apronius, parce qu’ils jouissaient de quelque considération, et qu’ils avaient eu du crédit auprès des autres préteurs. Remarquez, en effet, quels sont ces édits. ON N’ENLÈVERA POINT LE BLÉ DE L’AIRE, À MOINS QU’ON NE SE SOIT ARRANGÉ. C’est une assez grande violence pour contraindre à un arrangement peu favorable : car j’aime mieux donner davantage que de ne pas enlever à temps mon blé de l’aire. Mais cette violence n’ébranle pas encore Septitius et d’autres Romains aussi fermes, qui disent : Plutôt que d’entrer en arrangement, je n’enlèverai point mon blé. C’est pour eux qu’il ajoute cet article : Portez votre blé avant les calendes d’août. Je le porterai donc.— Mais vous le laisserez en place jusqu’à ce que vous vous soyez arrangé. Ainsi le jour fixé pour porter le blé obligeait de l’enlever de l’aire ; la défense de l’enlever de l’aire avant qu’on se fût arrangé, contraignait, malgré soi, à un arrangement.

XV. Ce que je vais dénoncer n’est pas seulement contraire à la loi d’Hiéron et à l’usage des anciens préteurs, mais encore à toutes les lois que les Siciliens tiennent du sénat et du peuple romain, d’après lesquelles ils ne sont forcés de plaider que devant leurs propres juges. Verrès ordonna que le décimateur pourrait ajourner le cultivateur devant tel juge qu’il voudrait, afin, sans doute, qu’Apronius pût ajourner à Lilybée un habitant de Léontini, et qu’il eût ce nouveau moyen d’inquiéter et de rançonner les infortunés laboureurs.

Mais voici ce qu’il avait imaginé de plus étrange et de plus propre à tourmenter ces malheureux : il leur était enjoint de déclarer les arpents qu’ils auraient ensemencés. Cette ordonnance, comme nous le montrerons, avait une grande vertu pour faire conclure des arrangements sans que la république en tirât aucun avantage ; et elle servait