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sière, mais parfumé d’essences, avec cet air de langueur que donnent la débauche et les veilles : à son premier mouvement, de son premier souffle, il eût rempli l’assemblée d’exhalaisons vineuses, de l’odeur de ses parfums, de l’infection de sa personne. Il eût répété ses discours ordinaires, qu’il ne s’était pas fait adjuger les dîmes, mais les biens et la fortune des cultivateurs ; qu’il n’était pas le décimateur Apronius, mais un second Verrés, le maître des agriculteurs, leur souverain. Après quoi, les excellents juges de la troupe de Verrès n’auraient pas délibéré pour absoudre Apronius, mais cherché les moyens de condamner, au profit d’Apronius, le demandeur lui-même.

XIII. Après avoir permis aux décimateurs, c’est-à-dire, à Apronius, de piller les agriculteurs, de demander tout ce qu’il voulait, de prendre tout ce qu’il aurait demandé, vous vous ménagiez, Verrès, en cas d’accusation, cette défense : Je me suis engagé par un édit à nommer une commission qui fit rendre huit fois la somme. Quand vous auriez permis au cultivateur de choisir les juges dans cette classe si nombreuse, mais si recommandable et si intègre des citoyens romains établis à Syracuse, on se plaindrait encore de ce nouveau genre de vexation, d’être obligé, après avoir abandonné toutes ses récoltes au décimateur, après s’être dessaisi de ses biens, d’en poursuivre en justice la restitution, d’intenter un procès pour les recouvrer. Mais lorsque, dans l’édit, il n’est parlé de jugement que pour la forme ; lorsque le jugement, en effet, n’eût été qu’une collusion de vos infâmes satellites avec les décimateurs vos associés, ou plutôt vos intendants, vous osez encore parler de cette poursuite prétendue ; vaine défense, qu’a réfutée déjà non pas seulement mon discours, mais l’événement, puisque, malgré tant de vexations, tant de dommages subis par les agriculteurs, ils n’en ont jamais poursuivi les auteurs en vertu de votre admirable édit, et qu’ils n’ont pas même demandé le droit de les poursuivre. Cependant Verrès sera plus favorable aux cultivateurs qu’il ne le paraît, puisque, dans le même édit où il annonce qu’il permettra de poursuivre les décimateurs pour leur faire payer huit fois la somme, il déclare que les cultivateurs ne pourront être condamnés qu’à payer une somme quadruple. Osera-t-on dire qu’il ait été déchaîné contre les agriculteurs, qu’il ait été leur ennemi ? ne leur a-t-il pas été bien plus favorable qu’aux fermiers publics ? Mais l’édit porte que le magistrat sicilien fera payer au cultivateur ce qu’exige le collecteur. N’est-ce pas là avoir épuisé toutes les rigueurs judiciaires qu’on peut employer contre l’agriculteur ? Il n’est pas mal, dit Verrès, de le contenir par la crainte d’un jugement, de l’empêcher de remuer après qu’on l’aura fait payer. — Si vous voulez me faire payer en vertu d’un jugement, ne faites pas intervenir le magistrat sicilien ; si vous employez cette voie de rigueur, qu’est-il besoin d’un jugement ? Qui n’aimera mieux donner à vos décimateurs ce qu’ils auront demandé, que d’être condamné par vos odieux compagnons à payer le quadruple ?

XIV. Mais voyons l’admirable conclusion qui termine son édit : il annonce que, pour les démêlés qui surviendront entre le cultivateur et le décimateur, il donnera des commissaires, si l’un