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huit fois. J’attends l’effet de l’édit, la sévérité du préteur ; je m’intéresse pour l’agriculteur, je souhaite qu’Apronius soit condamné. Que demande l’agriculteur ? rien que de pouvoir poursuivre aux termes de l’édit. Et Apronius ? il ne refuse pas d’être jugé. Et le préteur ? il ordonne de choisir des commissaires. Écrivons les classes dans lesquelles on choisira. — Qu’appelez-vous classes ? Vous prendrez, dit-il, des hommes de ma suite. — Et de quels hommes est composée votre suite ? De l’aruspice Volusius, du médecin Cornélius, et de toute cette meute affamée qui entoure mon tribunal. Car Verrès ne tira jamais un seul juge, un seul commissaire, du nombre des citoyens romains établis en Sicile. Quiconque, disait-il, possède un pouce de terre, est ennemi des décimateurs. Il fallait donc se présenter contre Apronius devant des hommes tout échauffés encore du vin de la table d’Apronius.

XII. Quel admirable, quel incomparable tribunal ! quel édit sévère ! quel excellent refuge pour les cultivateurs !

Et afin que vous compreniez quelles étaient ces poursuites autorisées par l’édit, quelle estime on faisait de ces juges tirés de la suite de Verrès, écoutez. Ne s’est-il pas trouvé, croyez-vous, quelque décimateur qui, avec la liberté de faire donner à l’agriculteur tout ce qu’il lui demandait, ait demandé au delà de ce qui lui était dû ? Voyez, examinez ; ne s’en est-il pas rencontré quelqu’un, surtout lorsqu’il aurait pu outrepasser ses droits, non par cupidité, mais par mégarde ? Il s’en est trouvé nécessairement un grand nombre. Je dis, moi, que tous ont pris au delà des dîmes. Or, Verrès, dans les trois années de votre préture, montrez-m’en un seul qui ait été condamné suivant la rigueur de votre édit ; que dis-je ? qui ait été poursuivi en vertu de votre édit ? Il n’y avait, apparemment, aucun agriculteur qui pût se plaindre qu’on lui eût fait une injustice ; il n’y avait aucun décimateur qui eût demandé un grain au delà de ce qui lui était dû. Mais Apronius, au contraire, prenait et enlevait à chacun tout ce qu’il voulait ; tout retentissait des plaintes des cultivateurs vexés et dépouillés : et cependant on ne trouvera pas qu’il y ait eu une seule poursuite. Quoi donc ! tant d’hommes qui avaient de la fermeté, du crédit et de la considération, tant de Siciliens, tant de chevaliers romains, lésés par un seul homme aussi vil, aussi déshonoré, ne le poursuivaient pas pour lui faire subir la peine qu’il n’avait pas craint d’encourir ? Quelle en pouvait être la raison ? celle que tout le monde aperçoit. Se présenter au tribunal, c’était, ils n’en doutaient pas, aller au-devant des déceptions et de l’insulte. Quel tribunal, en effet, que celui où auraient siégé, avec le titre de juges-commissaires, trois hommes tirés de l’impure et infâme cohorte de Verrès, ses odieux compagnons, lesquels ne lui avaient pas été donnés par son père, mais recommandés par une vile courtisane ! Que si un agriculteur eût plaidé sa cause, et dit qu’Apronius ne lui avait point laissé de blé ; que ses biens même avaient été pillés ; qu’on l’avait frappé et battu nos honnêtes juges se seraient rapprochés comme pour délibérer sur ses plaintes : mais ils n’auraient parlé entre eux que d’une partie de débauche, que des femmes sortant des bras de Verrès, dont ils pourraient s’emparer. Fier de sa dignité nouvelle de fermier public, Apronius se serait levé, non comme un décimateur tout couvert de pous-