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donnance : Le cultivateur donnera au décimateur tout ce que celui-ci aura déclaré lui être dû. Comment ! il faut donner tout ce qu’Apronius demandera ? Quoi donc ! est-ce là le règlement d’un préteur pour des alliés, ou l’édit despotique d’un tyran insensé pour des ennemis vaincus ? Je donnerai tout ce que demandera Apronius ! Mais il demandera tout ce que j’aurai cultivé. Que dis-je tout ? même plus, s’il le veut. Qu’importe ? ou vous donnerez, ou vous serez condamné comme ayant enfreint l’ordonnance. Dieux immortels ! quelle oppression ! la chose n’est pas vraisemblable. Tout persuadés que vous êtes, Romains, qu’il n’est rien dont Verrès ne soit capable, je m’imagine que ce fait vous paraît faux. Quand toute la Sicile en déposerait, je n’oserais moi-même l’affirmer, si je n’en trouvais la preuve dans les édits mêmes tirés de ses registres : les voici. Remettez, je vous prie, la pièce au greffier : qu’il lise d’après le registre même. Lisez l’édit sur la déclaration des terres mises en labour. ÉDIT SUR LA DÉCLARATION. Verrès se plaint qu’on ne lit pas tout : son air semble du moins me le faire entendre. Qu’avons-nous passé ? est-ce l’article où vous songez aux Siciliens, et jetez un regard de pitié sur les malheureux agriculteurs ? Vous déclarez, en effet, que si le décimateur prend au delà de ce qui lui est dû, vous permettrez de le poursuivre pour lui faire payer huit fois la somme perçue au delà de ses droits. Je ne veux rien passer. Lisez l’article que demande l’accusé ; lisez-le tout entier. ÉDIT SUR LE DROIT DE RÉCLAMER HUIT FOIS LA SOMME PERÇUE. Le cultivateur opprimé poursuivra donc en justice le décimateur ? Il est triste, il est injuste que des laboureurs soient transportés de leurs campagnes au barreau, de la charrue au tribunal, de leurs travaux rustiques au milieu de ces discussions et de ces luttes judiciaires, si nouvelles pour eux.

XI. Quoi ! dans toutes les autres impositions de l’Asie, de la Macédoine, de l’Espagne, de la Gaule, de l’Afrique, de la Sardaigne, de la partie de l’Italie qui y est sujette ; dans toutes ces impositions, dis-je, le fermier public n’a droit que de faire des demandes et de prendre des gages, non d’enlever ni de saisir les récoltes ; et vous, Verrès, vous établissiez pour la classe d’hommes la plus utile, la plus vertueuse, la plus honnête, je veux dire, pour les agriculteurs, une jurisprudence contraire à toute jurisprudence ! Eh ! lequel est plus juste que le décimateur demande ou que le cultivateur redemande ? que le cultivateur soit jugé quand il possède encore son bien, ou quand il l’a perdu ? que celui qui a amassé par ses travaux soit en possession, ou celui qui a acquis par la simple enchère ? Et ceux qui ne labourent qu’un arpent, qui ne peuvent interrompre leurs travaux, et le nombre en était considérable en Sicile, avant votre préture, que feront-ils ? Quand ils auront donné à Apronius ce qu’il aura demandé, quitteront-ils leur labour ? abandonneront-ils leurs pénates ? se transporteront-ils à Syracuse ? et là, dans un jugement par commissaires, devant vous préteur, sans doute à partie égale, poursuivront-ils Apronius, vos délices, l’objet de vos tendresses ?

Mais soit ; il se trouvera un agriculteur, courageux et habile, qui, après avoir donné au décimateur tout ce qu’il aura demandé, le poursuivra en justice, pour le faire condamner à payer