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mander et recevoir quelque présent ? Vos portiers et vos valets chérissent Verrès ; il est aimé de vos affranchis, adoré de vos esclaves. Arrive-t-il, on l’annonce aussitôt ; il est seul introduit ; les hommes les plus honnêtes sont exclus : d’où l’on voit sans peine que vous chérissez principalement ceux qui se sont livrés à de tels excès, qu’ils ne peuvent trouver leur sûreté que dans votre protection.

Enfin, lorsque, satisfaits d’une fortune médiocre, nous ne cherchons pas à l’augmenter ; lorsque nous soutenons notre rang et les bienfaits du peuple romain par la vertu et non par l’opulence : je vous le demande, Hortensius, souffrirons-nous que Verrès brave impunément les lois ; que, fier de tout ce qu’il a pris à tout le monde, ce déprédateur insulte à notre médiocrité ; que vos palais soient décorés de ses vases d’argent, le forum et le comice de ses statues et de ses tableaux, surtout quand vos propres talents ont mis chez vous toutes ces choses en abondance ? souffrirons-nous que ce soit un Verrès, qui orne de ses rapines vos maisons de plaisance ; qu’un Verrès le dispute à L. Mummius et s’applaudisse d’avoir dépouillé plus de villes alliées que ce général n’a dépouillé de villes ennemies, d’avoir seul orné plus de maisons de campagne de la décoration des temples, que l’autre n’a décoré de temples de la dépouille des vaincus ? Et voilà celui à qui vous ne donnez tant de preuves d’amitié que pour porter les autres à servir vos passions à leurs propres risques !

V. Mais nous reviendrons ailleurs sur ces réflexions, qu’il est temps de finir : suivons maintenant le cours de cette plaidoirie, après vous avoir fait, Romains, une prière. Dans tout ce qui précède, vous nous avez prêté toute votre attention, et j’en éprouve une bien vive reconnaissance ; mais elle le sera plus encore, si vous m’accordez pour le reste la même bienveillance. Jusqu’ici la diversité même et la nouveauté des objets et des griefs pouvaient attacher les juges. Maintenant je vais discuter les malversations de Verrès dans l’administration des blés, malversations qui l’emportent sur toutes les autres par la nature et l’énormité des crimes, mais dont le récit offrira moins d’intérêt et de variété. Il est bien digne, Romains, de votre gravité et de votre sagesse d’être ici également attentifs, et, en nous écoutant, de donner plus à votre religion qu’au plaisir de nous entendre. Songez que, dans cette partie de la cause, vous avez à prononcer sur le sort et la fortune de tous les Siciliens et de ceux des citoyens romains qui cultivent des terres dans la Sicile, sur les revenus que nous ont laissés nos ancêtres, sur la vie et les subsistances du peuple romain. Si ces objets vous paraissent importants, et même des plus importants, ne cherchez dans l’orateur ni la variété du talent ni la fécondité de l’éloquence. Nul de vous, Romains, n’ignore que ce sont surtout les blés qui font pour nous de la Sicile une province si utile et si précieuse : dans le reste, elle nous aide ; ses blés nous nourrissent et nous font vivre. Ce chef d’accusation sera divisé en trois parties. Nous parlerons d’abord du blé dîmé, ensuite du blé acheté, enfin du blé estimé.

VI. Entre la Sicile et les autres provinces,