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ministrateur en Sicile de la ferme des pâturages publics : cet homme, pour son propre avantage, et peut-être croyant que c’était l’intérêt de la ferme, était entré fort avant dans l’amitié de Verrès. Comme il suivait le préteur dans toutes les villes de sa juridiction, et qu’il ne le quittait jamais, il en était venu à un tel point d’intimité, par l’habitude de vendre ses décrets et ses sentences, et de transiger pour lui, qu’on le regardait presque comme un autre Timarchide. Il était même plus fatal à la Sicile par ce trait qu’il prêtait à intérêt l’argent dont on achetait les faveurs de Verrès. Or, tel était, Romains, le produit de cette usure, que ce dernier bénéfice surpassait l’autre. L’argent qu’il écrivait avoir donné aux emprunteurs, il marquait l’avoir reçu de Timarchide, ou du secrétaire de Verrès ou de Verrès lui-même. De plus, il plaçait à intérêt, en son propre nom, de grandes sommes de Verrès non portées sur les registres.

Avant de devenir le familier du préteur, Carpinatius avait écrit quelquefois aux fermiers au sujet de ses injustices. Canuléius, chargé de la perception des droits de douane au port de Syracuse, avait aussi écrit et marqué une infinité de vols de Verrès, qu’on avait transportés de Syracuse sans payer les droits : car la même compagnie avait les droits de douane et de pacage. Nous pourrions donc tirer plusieurs charges contre Verrès de ces lettres mêmes, écrites à la ferme de Sicile. Bientôt Carpinatius, qui s’était lié avec Verrès, non seulement d’amitié, mais d’intérêt et d’intrigue, écrivit aux fermiers publics de fréquentes lettres où il leur vantait l’empressement de celui-ci à obliger la compagnie, son zèle et les bons offices pour l’intérêt commun. Tandis que Verrès faisait et décrétait tout ce que demandait Carpinatius, celui-ci multipliait les lettres aux associés de la ferme, afin de détruire, s’il le pouvait, le souvenir et l’effet de sa première correspondance. Enfin, lorsque Verrès quitta sa province, il leur manda de venir en grand nombre au-devant de leur protecteur, de lui faire des remerciements, de lui promettre qu’ils s’emploieraient pour lui sans réserve. Ils se prêtèrent aux désirs de leur associé ; et suivant l’usage de ces compagnies, persuadés, non que Verrès fût digne de quelque marque d’estime, mais qu’il était de leur intérêt de montrer de la reconnaissance, ils le remercièrent, lui disant que Carpinatius leur avait souvent parlé dans ses lettres des services qu’il s’était empressé de leur rendre.

LXXI. Verrès leur répondit qu’il l’avait fait volontiers ; et ayant donné de grands éloges au zèle de Carpinatius, il charge un de ses amis, qui était alors administrateur de la ferme de Sicile, de bien examiner toutes les lettres de la société, et de prendre garde qu’il n’y eût rien qui pût nuire à sa réputation et le mettre en danger. Cet ami, sans s’adresser à la foule des associés, convoque les fermiers des dîmes, et leur expose la demande de Verrès. Ils arrêtent qu’on supprimera les lettres qui pourraient nuire à la réputation du préteur, et qu’on fera en sorte que cette suppression ne lui cause aucun préjudice. Si je montre que les fermiers ont décidé ce que je viens de dire, si je prouve que les lettres ont été supprimées d’après leur résolution, que voulez-vous de plus ? puis-je apporter au tribunal