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rien de pur mauvais vouloir ; je ne veux pas lui ôter son excuse.

LXIX Il est donc clair, Verrès, et il vous est impossible de le nier, qu’aucune statue ne vous a été érigée volontairement ; que tout l’argent qui vous a été donné pour des statues a été arraché de force. Dans ce chef d’accusation, je n’ai pas voulu seulement montrer que vous avez extorqué pour des statues une somme de cent vingt mille sesterces ; mais j’ai voulu faire voir, et j’ai prouvé en même temps, quelle est et quelle a été contre vous la haine des agriculteurs, la haine de tous les Siciliens. Ici, je ne puis deviner quelle sera votre défense. Les Siciliens me haïssent, direz-vous, parce que j’ai beaucoup fait pour les citoyens romains. Mais ceux-ci sont vos ennemis les plus déclarés et les plus ardents. J’ai pour ennemis les citoyens romains, parce que j’ai défendu les intérêts et les privilèges des alliés. Mais les alliés se plaignent que vous les avez traités en ennemis. Je suis haï des agriculteurs, à cause des dîmes. Pourquoi donc l’êtes-vous de ceux dont les terres sont franches ? pourquoi l’êtes-vous des habitants d’Halèse, de Centorbe, de Ségeste, d’Halicye ? Pouvez-vous citer ou des citoyens romains ou des Siciliens, de quelque état, de quelque rang, de quelque ordre qu’ils soient, qui ne vous haïssent ? Ainsi, quand je ne pourrais donner la raison de cette haine, il n’en faudrait pas moins conclure, je crois, que celui qui est odieux à tous les hommes, doit l’être aussi à ses juges. Oserez-vous dire qu’il est indifférent que les agriculteurs, que tous les Siciliens, en un mot, pensent bien ou mal de vous ? Vous n’oseriez le dire, et, le voulussiez-vous, vous ne le pourriez. Les statues équestres que vous ont élevées ces agriculteurs, ces Siciliens méprisables, vous empêchent de tenir ce langage ; ces statues qu’un peu avant votre retour vous avez fait placer dans Rome avec des inscriptions, pour ralentir ces poursuites et ces accusations universelles. Qui oserait, en effet, vous inquiéter, ou vous offenser seulement de paroles, en voyant les statues érigées au nom des agriculteurs, au nom des négociants, au nom de toutes les villes siciliennes ? Est-il, dans cette province quelque autre population ? Aucune. Verrès est donc non seulement chéri, mais encore honoré par chaque partie de la province, par la province tout entière : qui oserait l’attaquer ? Comment dire alors qu’il vous importe peu que les dépositions des agriculteurs, des négociants, de tous les Siciliens, vous soient contraires, vous qui, en inscrivant leurs noms sur la base des statues, avez espéré pouvoir arrêter la haine qui vous poursuit, effacer le déshonneur dont vous êtes couvert ? Et si vous avez employé leur nom pour donner du prix et du lustre à vos statues, ne pourrai-je me servir de leur autorité pour fortifier mon accusation ?

Mais peut-être vous rassurez-vous, parce que vous vous êtes rendu favorable les fermiers publics. J’ai mis tous mes soins à empêcher que leur crédit ne pût vous être utile ; et vous, par un effort de génie, vous avez même travaillé à vous le rendre nuisible. Écoutez, Romains : j’exposerai cette partie de la cause en peu de mots.

LXX. Il est un certain Carpinatius, vice-ad-