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toute une multitude ? Combien n’y a-t-il pas eu de magistrats coupables en Asie ! combien dans l’Afrique ! combien dans l’Espagne, dans la Gaule, dans la Sardaigne ! combien dans la Sicile même ! duquel avons-nous appris qu’on eût tiré une telle vengeance ? C’est une chose nouvelle, Romains, c’est une chose prodigieuse parmi les Siciliens surtout et parmi les Grecs ; et je n’y croirais pas moi-même, si je n’avais vu ces statues arrachées de leur base et couchées sur la terre : car, chez tous les Grecs, l’honneur rendu aux hommes dans de tels monuments a toujours eu le caractère d’une consécration religieuse. Dans la première de nos guerres contre Mithridate, les Rhodiens lui avaient résisté presque seuls ; ils avaient repoussé ses troupes, soutenu ses plus rudes attaques sur leurs côtes, dans leurs murs et avec leurs flottes ; ils étaient, plus que d’autres, ennemis de ce prince : toutefois, même dans des périls extrêmes, ils n’ont pas touché à sa statue qui s’élevait dans l’endroit le plus fréquenté de leur ville. On peut croire qu’il y avait de l’inconséquence à épargner l’image dans le temps qu’ils voulaient détruire la personne ; mais je voyais par moi-même, quand j’étais à Rhodes, que leurs ancêtres leur avaient transmis pour ces monuments une sorte de vénération religieuse ; je les entendais dire que la statue leur avait rappelé le temps où ils l’avaient élevée, et la personne, le temps où Mithridate leur faisait la guerre et était leur ennemi.

LXVI. Vous voyez donc que ces principes religieux des Grecs qui, dans la guerre même, conservent les images d’un ennemi, n’ont pu, même au sein de la paix, protéger les statues d’un préteur du peuple romain. Les Taurominitains, dont la ville nous est unie par un traité d’alliance ; gens fort tranquilles, que leur traité avait toujours mis à couvert des vexations de nos magistrats, n’ont pas hésité à renverser la statue du préteur. Ils en ont toutefois laissé subsister la base dans leur forum, persuadés que ce serait un plus grand affront pour Verrès, qu’on sût qu’ils avaient renversé sa statue, que si l’on croyait qu’ils ne lui en eussent jamais érigé. Les Tyndaritains en ont aussi renversé une dans leur place publique ; et, pour la même raison, ils ont laissé le cheval seulement. Les habitants de Léontini, cette ville maintenant si pauvre et si misérable, ont fait disparaître sa statue de leur gymnase. Pourquoi parler des Syracusains, puisque cette vengeance leur fut commune avec tous les citoyens romains établis dans leur ville, avec presque toute la province ? Quel concours de monde, me disait-on, quelle affluence de peuple lorsqu’on abattit et qu’on coucha par terre les statues de Verrès ! Où donc s’élevaient-elles ? Dans le lieu le plus fréquenté et le plus auguste, à l’entrée et dans le vestibule du temple même de Sérapis. Et si Métellus n’eût pas montré autant de rigueur, s’il n’eût pas réprimé par un édit sévère ce déchaînement des peuples, il ne resterait pas trace dans la Sicile des statues de Verrès.

Je n’ai pas peur qu’on s’imagine qu’aucun de ces mouvements ait eu lieu, je ne dis pas à mon instigation, mais même à mon arrivée. Tout était fini avant que j’arrivasse en Sicile, avant même que Verrès eût mis le pied en Italie aucune statue n’est tombée pendant mon séjour. Apprenez ce qui s’est fait après mon départ.

LXVII. Il a été décrété par le sénat de Centorbe, et ordonné par le peuple, que les ques-