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Personne, sous la préture de Verrès, n’a pu devenir sénateur sans lui avoir compté de l’argent.

J’en dis autant des magistratures, des emplois, des sacerdoces dans lesquels il a méprisé les droits des hommes et le culte des dieux immortels. Il existe à Syracuse une loi religieuse qui ordonne d’élire chaque année par la voie du sort un prêtre de Jupiter : ce sacerdoce est regardé chez eux comme le plus auguste. Lorsqu’il est résulté des suffrages trois compétiteurs dans les trois ordres de la ville, on a recours à la voie du sort. Verrès avait obtenu d’autorité qu’au moment des suffrages Théomnaste, son intime ami, fût proclamé parmi les trois : quant au sort, auquel il ne pouvait commander, on attendait ce qu’il allait faire. Il commence, ce qui était le plus facile, par défendre de tirer au sort : il ordonne qu’on passe outre, et que Théomnaste soit proclamé. Les Syracusains lui représentent que les rites sacrés s’y opposent ; que cette innovation est impossible ; que ce serait un sacrilège. Verrès ordonne qu’on lise la loi ; on la lit ; elle portait que autant on aurait proclamé de candidats, autant on jetterait de boules dans l’urne ; que celui dont le nom sortirait, serait pourvu du sacerdoce. Verrès, homme ingénieux et subtil : Fort bien, dit-il ; la loi porte : Autant on aura proclamé de candidats ; combien donc, dit-il, en a-t-on proclamé ? Trois, lui répond-on. Qu’y a-t-il donc à faire que de jeter trois boules et d’en tirer une seule ? rien autre chose. Il en fait jeter trois : sur toutes était écrit le nom de Théomnaste. Tout le monde se récrie et trouve cette ruse indigne et révoltante. C’est par de tels moyens que le sacerdoce de Jupiter est conféré à Théomnaste.

LII. À Céphalède, on a fixé un mois dans lequel le premier pontife doit être élu. Cet honneur était recherché par un certain Artémon, surnommé Climachias, homme riche, il est vrai, et d’une naissance distinguée dans sa patrie, mais qui ne pouvait être nommé s’il se présentait un certain Hérodote à qui étaient dus, cette année-là, cette place et cet honneur, de l’aveu même de Climachias. La chose est rapportée à Verrès, qui la décide selon sa coutume. Il emporte de chez Artémon des vases ciselés, renommés et précieux. Hérodote était à Rome, persuadé qu’il viendrait bien assez à temps pour les comices, dût-il n’arriver que la veille. Pour que les comices ne se tinssent pas dans un autre mois que le mois prescrit par les lois, et qu’Hérodote ne fût point frustré, quoique présent, de cette dignité, irrégularité dont Verrès s’embarrassait fort peu, mais dont Climachias ne voulait aucunement, Verrès imagine (je l’ai dit depuis longtemps, il n’y a point, il n’y a jamais eu d’homme plus subtil), il imagine un moyen de faire tenir les comices dans le mois légal, et toutefois en l’absence d’Hérodote. C’est un usage chez les Siciliens et les autres Grecs, qui veulent que leurs jours et leurs mois s’accordent avec le cours du soleil et de la lune, soit de retrancher d’un mois un jour ou deux, qu’ils appellent jours supprimés, soit de le rendre plus long d’un jour ou deux. Informé de cet usage, Verrès, ce nouvel astronome qui tenait moins de