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ici ceux qui se sont déjà trouvés à la cause et qui l’ont examinée. Parlez, dit le préteur ; ils ne peuvent s’y trouver. Eh bien ! dit alors Q. Minucius, moi aussi, j’ai été prié par Pétilius d’être son assesseur. Et il se prépare à quitter l’audience. Verrès irrité lui adresse des paroles violentes, et même des menaces, disant qu’il expose le préteur à la haine et à une grave accusation.

XXX. Minucius qui, tout en faisant la banque à Syracuse, n’avait oublié ni ses droits, ni sa dignité, et qui sentait que le soin d’augmenter sa fortune dans la province ne devait lui rien faire perdre de sa liberté, répondit au préteur ce qu’il crut de son honneur, et ce que demandaient sa cause et la circonstance : il persiste à dire que, puisque le conseil a été congédié, il ne plaidera pas. Il quitta donc le siège des avocats ; tous les autres amis et défenseurs de Sopater, à l’exception des Siciliens, en firent autant. Verrès, malgré son incroyable audace, se voyant seul, se troubla et sentit quelque crainte. Que faire ? de quel côté se tourner ? il l’ignorait. Si, en ce moment, il remettait la cause, Sopater, jugé par ceux qui venaient d’être éloignés, ne manquerait pas d’être absous ; s’il condamnait un homme malheureux et innocent, s’il osait, lui préteur, en l’absence de son conseil, du patron et des défenseurs de l’accusé, annuler un jugement de C. Sacerdos, il ne pourrait tenir contre l’odieux d’une pareille conduite. En proie à toutes les angoisses de l’incertitude, les agitations de son esprit se trahissaient jusque dans les mouvements de son corps, au point que tous ceux qui étaient présents purent voir quel combat la crainte et la cupidité se livraient dans son âme. L’assemblée était fort nombreuse ; le silence profond : on était impatient de savoir comment éclaterait sa cupidité : de temps à autre, son officier Timarchide se penchait à son oreille. Enfin Verrès : Allons, parle ; dit-il à Sopater. Celui-ci le supplie, au nom des dieux et des hommes, de juger avec l’assistance de son conseil. Verrès ordonne de citer les témoins. Un ou deux déposent en peu de mots : on ne les interroge pas : l’huissier annonce que la cause est entendue. Verrès, comme s’il eût craint que Pétilius, après avoir jugé ou remis la cause qui l’avait appelé au dehors, ne revînt avec quelques autres au conseil, s’élance de son siège, : un homme innocent, absous par C. Sacerdos, sans avoir été défendu, sans autres juges que le greffier, le médecin et l’aruspice de Verrès, est ainsi condamné.

XXXI. Gardez, juges, gardez un tel homme parmi vos concitoyens ; épargnez-le, conservez-le, afin que nous ayons un collègue qui juge avec nous ; qui, dans le sénat, donne sans passion son avis sur la guerre et sur la paix. Toutefois, nous devons peu nous mettre en peine, nous et le peuple romain, de l’avis qu’il donnera dans le sénat. Quelle sera en effet son autorité ? Quand osera-t-il, quand pourra-t-il opiner ? À quelle époque, si ce n’est au mois de février, un homme aussi dissolu, aussi lâche, paraîtra-t-il au sénat ? Mais soit : qu’il y paraisse ; qu’il décide la guerre contre les Crétois ; qu’il affranchisse les Byzantins ; qu’il proclame roi Ptolémée ; que la volonté d’Hortensius lui dicte ses paroles et ses pensées :