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Épicrate est sans contredit le premier de ses habitants. Une succession de cinq cent mille sesterces, lui avait été laissée par une parente, si proche que, fût-elle morte sans testament, Épicrate, d’après les lois de Bidis, devait être son héritier. L’affaire dont je viens de parler était toute récente. On savait qu’Héraclius n’aurait pas perdu son patrimoine, s’il n’eût fait un héritage. Épicrate venait aussi d’hériter. L’idée vint à ses ennemis que, sous la préture de Verrès, on pourrait le dépouiller de sa fortune, tout aussi bien qu’Héraclius. Ils commencent leurs intrigues, et avertissent Verrès par l’entremise de ses agents : on convient que les gymnasiarques de Bidis revendiqueront la succession contre Épicrate, comme les gymnasiarques de Syracuse contre Héraclius. Jamais vous n’avez vu de préteur si favorable aux gymnasiarques ; mais en soutenant leurs intérêts, il n’oubliait pas les siens. Il commence par lui-même, et fait compter à un de ses amis quatre-vingt mille sesterces. Le secret ne put être gardé. Épicrate est informé par un de ceux qui étaient présents. Il négligea d’abord cet avis : il n’y avait rien dans sa cause qui pût faire douter de son droit. Ensuite, réfléchissant au sort d’Héraclius, et connaissant la perversité de Verrès, il pensa que le mieux à faire était de quitter secrètement la province, et c’est ce qu’il fit. Il partit pour Rhégium.

XXIII. À cette nouvelle, l’agitation de ceux qui avaient donné l’argent fut grande. Que pouvait-on faire en l’absence d’Épicrate ? Héraclius était présent la première fois qu’on lui donna des juges ; mais comment agir contre un homme qui s’était enfui avant qu’on eût paru en justice, avant qu’il eût été question de procès ? Ils partent pour Rhégium ; ils vont trouver Épicrate ; ils lui représentent, ce qu’il savait déjà, qu’ils avaient donné quatre-vingt mille sesterces, et le prient de leur rendre cette somme, qu’ils ont perdue à cause de lui ; qu’il prenne contre eux les sûretés qu’il voudra, nul d’entre eux ne lui contestera la succession. Épicrate les renvoie sans vouloir les entendre. Ils se rendent à Syracuse, et se plaignent à beaucoup de monde, comme c’est l’usage, d’avoir donné inutilement quatre-vingt mille sesterces. La chose se répand, elle court de bouche en bouche, et devient le sujet de tous les entretiens. Verrès joue le même rôle qu’à Syracuse ; il veut, dit-il, connaître de ces quatre-vingt mille sesterces : il cite un grand nombre de personnes. Les Bidiens disent qu’ils ont donné la somme à Volcatius, sans ajouter que c’est par l’ordre de Verrès. Celui-ci fait venir Volcatius, lui ordonne de rapporter l’argent ; Volcatius l’apporte sans hésiter, lui qui n’y perdait rien ; il le rend à la vue de nombreux témoins. Les Bidiens emportent la somme.

Quoi donc ! dira-t-on, blâmez-vous ici Verrès, lui qui, loin d’être un voleur, n’a pas même souffert qu’un autre le fût ? Écoutez, et vous comprendrez bientôt que cet argent, qui avait paru s’éloigner de Verrès par la grande route, lui est revenu par un chemin détourné. En effet, que devait faire le préteur, lorsque, après avoir examiné l’affaire dans son conseil, il eut reconnu que, soit en recevant cette somme, soit en la donnant pour corrompre les juges, vendre ou acheter la justice, un officier de sa suite et des citoyens de Bidis