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il la rendait à Rome ? Qui donc sous sa préture a pu se faire rendre justice sans l’agrément de Chélidon ? Ce n’est pas la province qui l’a gâté, comme tant d’autres ; il s’y est montré tel qu’il était à Rome. Héraclius représentait, chose connue de tout le monde, que les Siciliens avaient une jurisprudence consacrée, d’après laquelle ils devaient vider entre eux leurs différends ; qu’il existait une loi Rupilia, donnée par P. Rupilius, en vertu d’un sénatus-consulte, sur l’avis de dix députés ; jurisprudence observée en Sicile par tous les consuls et les préteurs : Verrès déclara qu’il ne tirerait point les juges au sort, comme le voulait la loi Rupilia ; il en donna cinq, choisis à sa commodité. Et maintenant que ferez-vous de cet homme ? Comment trouver un supplice égal à ses forfaits ? Quoi ! lorsque l’on avait prescrit (ô le plus pervers et le plus audacieux des hommes ! ) les règles que vous deviez suivre dans le choix des juges ; lorsqu’on invoquait l’autorité d’un général du peuple romain, la dignité de dix députés illustres, un décret du sénat, d’après lequel P. Rupilius avait établi des lois en Sicile, de l’avis des dix députés ; lorsque vos prédécesseurs avaient observé en toutes circonstances les lois de Rupilius, et principalement en ce qui touche les tribunaux : vous avez osé, dans votre cupidité, compter pour rien tant de choses si saintes ! Rien ne vous a retenu, nulle religion, nul respect de l’opinion, nulle crainte d’un jugement, nulle autorité imposante, nui exemple à suivre. Oui, Verrès a nommé cinq juges sans avoir égard aux lois et aux règlements, sans les avoir tirés au sort, sans permettre qu’on les récusât, uniquement dans l’intérêt de sa passion ; il a nommé cinq juges non pour examiner la cause, mais pour la juger comme il leur serait ordonné. Il ne fut rien fait ce jour-là ; mais on leur commanda de s’assembler le lendemain.

XVII. Cependant Héraclius, voyant tous les piéges que le préteur lui tendait, prend, de l’avis de ses parents et de ses amis, la résolution de ne pas comparaître devant le tribunal : il s’enfuit pendant la nuit de Syracuse. Le lendemain matin, Verrès s’étant levé beaucoup plus tôt qu’il ne l’avait jamais fait, donne l’ordre de convoquer les juges ; et voyant qu’Héraclius ne se présentait pas, il veut les contraindre à le condamner. Ceux-ci l’avertissent alors de se conformer, s’il le trouve bon, à son propre édit, et de ne pas les forcer de prononcer contre l’absent en faveur du présent avant la dixième heure. Verrès se rend ; mais il était tout déconcerté, ainsi que ses amis et ses conseillers ; la fuite d’Héraclius les tourmentait. Il leur paraissait plus odieux de condamner un homme pendant son absence, surtout pour des sommes aussi considérables, que s’il eût été présent. Comme les juges n’avaient pas été choisis d’après les dispositions de la loi Eupilia, ils sentaient que le jugement paraîtrait bien plus inique ; et en voulant dissimuler cette violation de la loi, Verrès ne fit que rendre son avarice et sa perversité plus évidentes. En effet, il déclare qu’il ne veut point se servir des cinq juges, et ordonne, ce qu’il aurait dû faire dès le commencement, d’après la loi Rupilia, de citer Héraclius et ceux qui l’avaient assigné : il veut, dit-il, tirer les juges au sort, conformément à la loi Rupilia. Ce qu’Héraclius n’avait pu obtenir la veille, malgré ses larmes, ses prières, ses supplications, lui vient à l’esprit le lendemain ; et il décide lui-même qu’il fallait tirer des juges au sort, d’après la loi Rupilia. Il prend dans l’urne les noms de trois juges ; leur