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semble bien moins défendre Verrès, qu’essayer, à l’occasion de Verrès, un moyen de défense. Prenez-y bien garde, juges ; cette question intéresse la prospérité de la république, l’honneur de votre ordre, le salut des alliés. Voulons-nous passer pour intègres, non seulement nous devons montrer notre probité, mais en exiger dans ceux qui nous entourent.

XI. Songeons surtout à n’emmener avec nous que des hommes qui veillent à notre réputation et à notre gloire : ensuite, si, dans nos choix, les illusions de l’amitié nous ont déçus, punissons, éloignons les coupables ; conduisons-nous sans cesse en hommes persuadés que nous aurons à rendre compte de notre conduite. Voici un trait de Scipion l’Africain, le plus généreux des hommes ; mais de cette générosité qui n’est digne de louanges que lorsqu’elle ne met point notre honneur en péril. Un de ses anciens amis, attaché depuis longtemps à sa personne, ne pouvait obtenir de lui qu’il l’emmenât comme officier en Afrique, et supportait ce refus avec peine : « Ne soyez pas étonné, lui dit Scipion, si vous n’obtenez pas de moi ce que vous me demandez. Je prie longtemps un homme à qui ma réputation, je crois, sera chère, de m’accompagner comme officier, et jusqu’à ce moment, je n’ai pu vaincre sa résistance. » En effet, si nous tenons à notre sûreté et à notre honneur, nous devons bien plutôt demander qu’on nous suive dans notre province, que d’accorder cette permission comme une faveur. Mais vous, Verrès, quand vous invitiez vos amis à vous suivre dans votre province pour en partager les dépouilles ; quand vous exerciez vos rapines et avec eux et par eux ; quand, en pleine assemblée, vous les honoriez d’anneaux d’or ; ne songiez-vous pas qu’il vous faudrait rendre compte et de votre conduite et de leurs actions ?

Tels étaient les gains énormes que lui offraient les affaires dont il avait résolu de connaître avec son conseil, c’est-à-dire, avec sa cohorte ; mais il avait en outre imaginé une infinité d’autres manières d’extorquer des sommes immenses.

XII. Personne ne doute que toutes les fortunes des particuliers ne soient au pouvoir de ceux qui règlent les jugements et de ceux qui les rendent ; que nul d’entre nous ne saurait conserver ses maisons, ses terres, son patrimoine, si, lorsqu’ils lui sont contestés, un préteur injuste nomme le juge qu’il veut ; et si ce juge, corrompu et indifférent, prononce au gré du préteur. Que sera-ce si le préteur emploie une formule telle, que même un L. Octavius Balbus, notre juge, qui connaît si bien et le droit et son devoir, ne puisse la modifier ? par exemple : L. Octavius sera notre juge ; s’il apparaît que la terre de Capène dont il s’agit appartient par le droit Quiritaire à P. Servilius, et que cette terre ne soit pas restituée à Q. Catulus : n’y aura-t-il pas nécessité pour le juge L. Octavius de forcer P. Servilius à restituer la terre à Q. Catulus, ou de condamner celui qu’il ne devrait pas condamner ? Telle a été toute la jurisprudence prétorienne, telle a été toute l’administration de la justice en Sicile pendant trois ans, sous la préture de Verrès. Voici ses décrets : Si le créancier n’accepte pas la somme que vous déclarez lui devoir, accusez-le ; s’il demande davantage, faites-le conduire en prison. Et il y a fait conduire C. Fuficius, demandeur ; L. Suétius, L. Bacilius. Voici comment il composait ses tribunaux : de citoyens romains, quand les parties étaient des Siciliens, auxquels, d’après leurs lois,