Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compté onze cent mille sesterces pour obtenir de Verrès le gain d’une cause qui n’offrait pas le moindre doute, mais que Verrès instruisait ; qu’ainsi, outre des troupes de ses plus belles cavales, outre tout ce qu’il avait chez lui d’argenterie, et de tapis, ce Q. Dion, par la seule raison qu’une succession lui était échue, a perdu onze cent mille sesterces. Quoi donc ! sous quel préteur le fils de Dion aurait-il hérité ? la même année que la fille du sénateur P. Annius, la même année que le sénateur M. Ligur, c’est-à-dire, sous le préteur C. Sacerdos. Eh bien ! quelqu’un alors avait-il inquiété Dion ? pas plus que Ligur, sous le préteur Sacerdos. Comment donc ? Qui l’a dénoncé à Verrès ? personne, à moins que vous ne pensiez qu’il se soit trouvé des délateurs tout prêts à son entrée dans le détroit.

VIII. Il était encore aux portes de Rome, lorsqu’il apprit qu’un certain Dion de Sicile venait de faire un riche héritage ; et que le testateur lui avait ordonné de placer des statues dans la place publique, sous peine, s’il y manquait, de payer une amende à Vénus Erycine. Bien que les statues eussent été posées en vertu du testament, Verrès crut que le nom seul de Vénus lui fournirait moyen de tirer quelque profit de cette affaire. Il aposte donc un homme qui réclame cette succession au nom de Vénus Érycine ; car elle fut réclamée, non, comme le voulait l’usage, par le questeur du mont Éryx, mais par un Névius Turpion, un éclaireur, un émissaire de Verrès, le plus pervers de tous les délateurs de sa troupe, condamné, sous le préteur C. Sacerdos, pour violences et voies de fait. Telle était, en effet, la nature de la cause, que le préteur lui-même, cherchant un calomniateur, n’en pouvait trouver de mieux famé que celui-là. Verrès acquitte Dion de sa dette envers Vénus, mais le condamne à la lui payer à lui-même. Il pensait que s’il devait y avoir un coupable dans cette affaire, il valait mieux que ce fût un homme qu’un dieu ; et plutôt que de voir Vénus s’emparer de ce qui ne lui était pas dû, il préférait enlever à Dion ce qu’il n’avait pas le droit de lui prendre. Qu’est-il besoin de faire lire la déposition de Sextus Pompéius Chlorus, qui a assisté à tous ces débats, et qui même a plaidé la cause de Dion ? Pompéius Chlorus est, comme vous le savez, un des hommes les plus honorables ; et quoique citoyen romain depuis longtemps, il est toujours regardé par les Siciliens comme le plus illustre et le premier d’entre eux. Qu’est-il besoin aussi de rappeler la déposition de Dion lui-même, ce citoyen si estimé ; celle de L. Vétécillius Ligur, de C. Manlius, de L. Calénus, qui tous ont rendu témoignage de cette spoliation ? M. Lucullus s’accorde également à dire que les malheurs de Dion, son hôte, lui sont depuis longtemps connus. Eh quoi ! Lucullus, qui était alors en Macédoine, a-t-il été mieux instruit de ces faits que vous, Hortensius qui étiez à Rome ? vous à qui Dion a eu recours ? vous qui, dans une lettre à Verrès, vous plaigniez si vivement de l’injustice faite à Dion ? Ne le saviez-vous pas ? le grief est-il nouveau pour vous ? est-ce la première fois que vous en entendez parler ? n’en avez-vous rien appris de Dion, rien de votre belle-mère, Servilia, cette femme du premier rang, unie anciennement à Dion par l’hospitalité ? N’est-il pas dans cette affaire bien des choses que vous savez, et que mes témoins ignorent ? Et vous-même ne seriez-vous pas un de mes témoins pour ce chef d’accusation, si vous ne m’étiez en-