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jamais homme n’a excité autant de haine chez aucun peuple que Verrès chez les Syracusains.

VI. Mais, dira-t-on, les Siciliens seuls le poursuivent ; les citoyens romains qui commercent dans la Sicile, le défendent, le chérissent, le veulent voir absous. Et quand cela serait, dans une affaire de concussion, devant un tribunal établi en faveur des alliés, ce sont les plaintes des alliés qu’on doit écouter. Mais vous avez pu voir, dans la première action, qu’un grand nombre de citoyens, établis en Sicile, et des plus honorables, déposaient des injustices les plus graves qu’ils avaient éprouvées eux-mêmes ou qu’ils savaient avoir été faites à d’autres. Pour moi, je le pense et je l’affirme, si je crois avoir bien mérité des Siciliens en poursuivant leurs injures à mes risques et périls, sans craindre ni la fatigue ni les inimitiés ; je ne crois pas moins fortement que mes concitoyens me sauront gré de ma conduite, persuadés, comme ils le sont, que la conservation de leurs droits, de leur liberté, de leurs intérêts et de leur fortune dépend de la condamnation de cet homme. En conséquence, et je consens que vous vous décidiez sur cette épreuve, si Verrès dans sa préture de Sicile a eu pour lui quelque espèce d’hommes que ce soit, Siciliens, citoyens romains, pacagers ou commerçants ; s’il n’a pas été pour eux tous un déprédateur, un ennemi ; enfin, si jamais il en a épargné aucun dans quelque affaire, je ne m’y oppose plus, qu’on l’épargne lui-même. À peine eut-il obtenu du sort la province de Sicile, qu’à Rome et aux portes de Rome il se mit à chercher en lui-même, et à examiner avec ses amis par quels moyens il pourrait, en une seule année, tirer de cette province le plus d’argent. Ce n’était pas par la pratique qu’il voulait s’instruire, quoiqu’il ne fût pas novice dans l’art d’exploiter une province ; mais il désirait arriver en Sicile avec des plans arrêtés de déprédation. Ô l’admirable présage tiré par le peuple contre cette administration, et répété par le bruit public, lorsque, par manière de raillerie, on tira de son nom un sûr présage de sa conduite en Sicile ! Pouvait-on, en effet, en se rappelant sa fuite et ses vols lors de sa questure, en songeant au pillage des villes et des temples pendant sa lieutenance, en voyant dans le forum la trace des brigandages de sa préture ; pouvait-on douter des malversations qui devaient signaler le quatrième acte de ce drame ?

VII. Et, pour que vous compreniez qu’il s’est inquiété à Rome même, non seulement des espèces de vols, mais des noms propres, voici qui vous prouvera sans réplique sa rare impudence. Le jour qu’il mit le pied en Sicile (voyez s’il était assez préparé, selon le présage qu’on en avait tiré à Rome, à balayer la Sicile), il écrit de Messine à Halèse ; il avait fait, je pense, la lettre en Italie ; car à peine débarqué, il eut soin que Dion d’Halèse comparût au plus tôt devant lui : il voulait connaître, disait-il, d’une succession laissée au fils de cet homme par un parent, Apollodore Laphiron. Il y avait là, juges, des sommes immenses. C’est ce même Dion, qui est devenu citoyen romain par le bienfait de Q. Métellus. C’est celui dont il s’agissait dans l’action précédente, où les nombreux témoignages de personnes du premier rang, et quantité de registres, vous ont pleinement démontré qu’il a