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pour traiter avec le préteur ; enfin, pressé par moi, il nomma Chélidon. N’avez-vous pas de honte, Verrès, de vous être laissé gouverner dans votre préture par une femme dont L. Domitius ne croyait pas pouvoir prononcer le nom sans se déshonorer ?

LIV. Obligés par le refus de Chélidon de se charger de l’affaire, ils se décident à la traiter eux-mêmes. Ils transigent avec Rabonius, cet honnête tuteur, moyennant deux cent mille sesterces, pour un objet qui en valait à peine quarante mille. Rabonius va rendre compte à Verrès ; il le prie de trouver la somme assez forte, j’aurais dit le vol assez impudent. Celui-ci, qui s’attendait à mieux, reçoit très mal Rabonius ; il lui déclare qu’un pareil marché ne saurait le satisfaire, qu’il va donner l’entreprise à d’autres. Les tuteurs qui ne savent rien, regardent l’arrangement pris avec Rabonius comme une chose conclue ; ils ne craignent pas de plus grands malheurs pour leur pupille. Cependant Verrès ne remet point la chose au lendemain ; il fait commencer la criée, sans annonce, sans affiche préalable, dans le moment le moins opportun, pendant les Jeux Romains, au milieu des décorations du forum. Rabonius va donc annoncer aux tuteurs que le traité est nul. Ils accourent et arrivent encore à temps : Junius, oncle du pupille, lève la main : Verrès change de couleur, perd contenance ; paroles, présence d’esprit, tout lui manque. Il se met à réfléchir : que fera-t-il, si ces travaux sont entrepris par le pupille ; s’ils échappent à l’adjudicataire qu’il a lui-même aposté ? plus de gain à espérer. Il imagine donc… Quoi ? rien de bien ingénieux, rien dont on puisse dire : Cela est méchant, mais fort adroit ; n’attendez de lui ni piège caché, ni tour de vieille guerre ; effronterie, démence, audace, vous verrez tout à découvert, tout au grand jour. Si l’entreprise est adjugée au pupille, ma proie m’échappe : quel remède à cela ? quel remède ? c’est de ne pas permettre au pupille de se porter adjudicataire. Mais que devient la coutume suivie dans la vente des biens meubles et immeubles des cautions, par tous les consuls, censeurs, préteurs et questeurs, qui est de traiter plus favorablement le propriétaire, celui qui a répondu à ses risques et périls ? Verrès exclut celui-là seul à qui seul peut-être il devait être permis de se présenter. Qui donc a le droit de demander malgré moi à disposer de mes fonds ? Pourquoi se présente-t-il ? Il s’agit de travaux à faire à mes dépens ; je m’engage à les faire ; ce sera à vous qui donnez l’adjudication, d’approuver l’ouvrage ; il y a des meubles et des immeubles qui en répondent. Et si vous ne trouvez pas la caution suffisante, est-ce une raison pour vous, préteur, de livrer ma fortune à qui vous voudrez sans me permettre de la défendre ?

LV. Il est bon de connaître les termes du décret : vous allez dire qu’il a été rédigé par l’auteur de l’édit des successions : « Décret sur les travaux à faire pour le compte du pupille Junius… » Parlez, parlez plus haut, je vous prie. C. Verrès, préteur de la ville, a de plus ordonné… On va réformer ici les lois des censeurs. Que vois-je, en effet, dans beaucoup de lois anciennes ? Cn. Domitius, L. Métellus, L. Cassius, Cn. Servilius, censeurs, ont de plus ordonné : Verrès veut sans doute aussi ajouter quelque chose de semblable. Lisez ; qu’a-t-il ajouté ? Aucun de ceux qui ont été déclarés adjudicataires depuis