Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Castor. Il savait que Junius était mort, mais il voulait savoir qui cela regardait après lui. Il apprend que Junius a laissé un fils en tutelle. Aussitôt ce misérable qui avait dit cent fois que les orphelins et les orphelines étaient une proie assurée pour le prêteur, s’écrie, que la fortune lui met dans les mains une excellente affaire. Ce vaste monument, d’une construction si solide, n’avait à la vérité besoin d’aucune réparation ; mais Verrès se flattait bien d’y trouver quelque chose à remuer et à prendre. Le temple de Castor devait être remis à L. Rabonius : or celui-ci se trouvait justement le tuteur du fils de Junius en vertu du testament paternel. Les arrangements étaient déjà pris pour que la remise se fît sans dommage pour les deux parties. Verrès fait venir Rabonius : il lui demande si le pupille a livré tout ce qu’il devait remettre, et s’il ne reste rien qu’on puisse exiger. Rabonius répondait, comme il était vrai, que cette remise était une chose toute simple pour le pupille ; que les statues, les offrandes, rien ne manquait dans le temple, que l’édifice n’avait besoin d’aucune réparation. Verrès indigné trouvait fort étrange que dans un si vaste édifice, et d’un travail si considérable, on ne pût tirer quelque riche proie, surtout d’un orphelin.

LI. Il va lui-même au temple de Castor ; il l’examine en entier ; il voit partout des plafonds superbes, le reste tout neuf et sans le moindre défaut. Il se tourne en tous sens ; il cherche que faire. Un de ces limiers, dont il entretenait, comme il l’avait dit à Ligur, une meute autour de lui, vient à son secours : Verrès, vous n’avez rien à faire ici, à moins d’exiger que ces colonnes soient d’aplomb. Verrès, qui ne sait rien, demande ce que c’est que l’aplomb. On lui dit qu’il n’y a guère de colonnes qui soient exactement perpendiculaires. Eh bien ! par tous les dieux, dit-il, faisons cela ; que l’on voie si toutes ces colonnes sont d’aplomb. Rabonius, qui connaissait la loi, où il n’est question que du nombre des colonnes et nullement de leur aplomb, et qui d’ailleurs ne croyait pas qu’il fût de son intérêt de recevoir de cette manière, de peur d’être contraint à rendre de même, soutient qu’on ne doit point exiger cette condition. Verrès lui dit de rester tranquille, lui fait entrevoir l’espérance d’une certaine association, ferme enfin la bouche à cet homme qui n’est ni fier ni opiniâtre, et confirme son arrêté sur l’aplomb des colonnes. On annonce aussitôt cette étrange décision et le malheur imprévu du pupille à C. Mustius, son beau-père, mort dernièrement ; à M. Junius, son oncle paternel ; à P. Potitius, un de ses tuteurs, dont tout le monde connaît la probité. Tous trois en instruisent M. Marcellus, l’un de nos premiers citoyens, personnage aussi vertueux qu’illustre. Il était aussi tuteur de l’enfant. Il se rend chez Verrès, lui dit tout ce que le zèle peut inspirer à un homme d’honneur pour l’empêcher de commettre une pareille injustice, de dépouiller un orphelin des biens de son père. Verrès, qui avait dévoré en espérance ce riche butin, n’est ému ni par les paroles ni par l’autorité de Marcellus. Il répond qu’il tiendra à ce qu’il a déclaré. Les tuteurs voyant que toutes les députations étaient inutiles, que tout accès était impraticable ou plutôt fermé auprès d’un homme pour qui le droit,