Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ritage, afin qu’il ne puisse pas donner des secours à un patron proscrit, et en même temps pour le punir de s’être conformé à la volonté dernière de son patron. Vous adjugez la possession à celui qui n’a pas juré ; d’accord : c’est agir en préteur. Vous l’ôtez à celui qui a juré ; d’après quel précédent ? Il aidait un proscrit. Eh bien ! il y a une loi, une peine décernée. Qu’importe au magistrat civil ? Que reprochez-vous à cet affranchi ? d’aider un patron alors dans la misère ? ou de respecter la dernière volonté d’un autre patron dont il avait reçu un si grand bienfait ? Lequel des deux ? et remarquez que du haut de son tribunal notre homme de bien a ajouté : « Comment ! un chevalier romain, un citoyen si riche aurait un affranchi pour héritier ! » Certes les affranchis firent preuve d’une grande modération en le laissant sortir vivant de son siège ! Je puis montrer mille décrets dont la singularité et l’injustice proclament, sans que j’aie besoin de le dire, qu’ils ont été obtenus à prix d’argent. Mais, pour juger de tous les autres par l’exemple d’un seul, écoutez un fait qu’on vous a déjà fait connaître dans la première action.

XLVIII. Il s’agit de C. Sulpicius Olympus. Il mourut pendant la préture de C. Sacerdos, peut-être même avant que Verrès sollicitât cette dignité. Il nomma pour son héritier M. Octavius Ligur. Celui-ci recueillit la succession, et en jouit sans être inquiété pendant la préture de Sacerdos. Lorsque Verrès fut entré en charge, d’après un article de son édit, qui n’était pas dans celui de Sacerdos, la fille du patron de Sulpicius se mit en devoir de réclamer à Ligur le sixième de la succession. Ligur était absent : Lucius, son frère, soutenait sa cause ; ses amis, ses parents comparurent. Verrès disait que si l’on ne s’arrangeait avec cette femme, il l’enverrait en possession. L. Gellius, avocat de Ligur, démontrait que l’édit de Verrès n’avait aucune force pour des successions échues avant sa préture ; que si l’édit eût alors existé, peut-être Ligur n’eût-il pas recueilli l’héritage. Ces représentations étaient justes, et appuyées de personnes respectables ; mais l’argent l’emportait. Ligur vient à Rome : il ne doutait pas qu’en allant lui-même trouver Verrès, il ne réussît à le fléchir par la justice de sa cause et sa considération personnelle : il se rend chez lui, lui expose l’affaire, lui montre depuis combien de temps cette succession lui est venue ; et, ce qui était facile à un homme d’esprit dans une cause si juste, il lui dit beaucoup de choses qui auraient touché tout autre que Verrès ; il finit par le prier de ne pas lui porter un coup aussi cruel, de ne pas mépriser sa personne et dédaigner son crédit à ce point. Verrès reproche à Ligur de se montrer si ardent et si empressé pour une succession inattendue : il lui dit qu’il doit aussi tenir compte des intérêts du préteur ; qu’il a besoin de bien des choses pour lui-même et pour la meute qu’il entretient autour de lui. Je ne saurais vous rendre tous ces détails mieux que Ligur ne l’a fait devant vous dans sa déposition. Quoi donc, Verrès ! faut-il qu’on ne croie pas de tels témoins ? et tout cela est-il étranger à la cause ? On n’en croirait ni M. Octavius, ni L. Ligur ? Qui donc nous croira ? Qui croirons-nous nous-mêmes ? Quel fait peut être prouvé par des témoins, si celui-ci ne l’est pas ? Ce qu’ils disent serait-il peu de chose ? C’est peu de chose en effet