Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à son propre édit. Je ne crois pas que vous ayez oublié quel nombre de citoyens, et même de citoyens distingués, environnait chaque jour le tribunal de Pison pendant cette préture : Verrès était infailliblement lapidé s’il n’avait pas eu un collègue tel que lui. Mais ses prévarications paraissaient plus supportables, en ce qu’on avait dans la sagesse et l’équité de Pison, un refuge assuré dont chacun profitait sans peine, sans embarras, sans frais et même sans avocat. Rappelez-vous, juges, la conduite arbitraire de Verrès dans l’administration de la justice ; ces arrêts contradictoires, le trafic qu’il en faisait ouvertement ; la solitude des maisons des jurisconsultes, dans le temps que celle de Chélidon était toujours pleine de gens qui, sortant de chez cette femme, allaient chez Verrès lui dire à l’oreille quelques mots ; sur quoi, tantôt il rappelait les parties dont il venait de juger l’affaire, et changeait sa décision ; tantôt il rendait un jugement contraire à celui qu’il avait déjà prononcé dans la précédente affaire. Aussi voyait-on des gens dont la colère s’exhalait en saillies : les uns, vous les avez entendus, disaient qu’il ne fallait pas s’étonner qu’il ne sortit rien de bon d’un animal nommé Verrès ; d’autres faisaient des plaisanteries encore plus amères ; mais, comme ils n’étaient pas de bonne humeur, on riait de les entendre maudire Sacerdos comme s’il eût été prêtre, pour n’avoir pas sacrifié une bête aussi méchante. Je ne rapporterais pas ces sarcasmes qui ne sont, ni fort plaisants, ni dignes de la majesté de ce lieu, si je ne voulais vous faire souvenir que l’infâme conduite et l’iniquité de Verrès étaient alors dans toutes les bouches et comme passées en proverbe.

XLVII. Mais de quoi vous parlerai je d’abord, de son orgueil ou de sa cruauté envers le peuple romain ? Sans doute la cruauté a quelque chose de plus odieux et de plus atroce. Croyez-vous que cette foule qui nous écoute ait oublié qu’il lui est arrivé souvent de faire déchirer à coups de verges des citoyens romains ; cruauté contre laquelle un tribun du peuple s’éleva avec tant d’énergie dans une assemblée, où il fit paraître devant le peuple romain le citoyen qui venait d’être battu de verges : c’est un fait que je mettrai sous vos yeux dans la suite de cette accusation. Pour son orgueil, qui ne sait à quel excès il l’a porté ? De quel dédain, de quel mépris il accablait les citoyens les plus pauvres, ne les regardant jamais comme des hommes libres ! P. Trébonius désigna plusieurs héritiers sur son testament, gens honnêtes et qu’il estimait, entre autres un de ses affranchis. Il laissait un frère, A. Trébonius, qui avait été sur les tables de proscription. Voulant lui ménager quelques secours, il avait inséré cette clause, que les héritiers jureraient de faire passer à ce frère au moins la moitié de leur part, bien qu’il fût proscrit. L’affranchi prête ce serment. Les autres héritiers vont trouver Verrès : ils lui font entendre qu’ils ne doivent pas jurer, que ce serait agir contre la loi Cornélia qui défend de donner des secours à un proscrit. Ils obtiennent la dispense du serment et l’envoi en possession. À cela, je ne trouve rien à redire : c’était sans doute une injustice de donner à un proscrit, dans le besoin, quelque partie du bien de son frère ; mais cet affranchi craignait de commettre un crime s’il ne jurait selon le testament de son patron. Verrès déclare donc qu’il ne l’enverra pas en possession de l’hé-