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fera ; et même dans aucune loi on ne revient sur le passé, si ce n’est pour des actes si criminels et si odieux, qu’en l’absence même de toute loi on doit s’en abstenir. Nous en voyons beaucoup que les lois ont défendus sans rechercher ceux qui s’en étaient rendus coupables auparavant. Ainsi les lois de Sylla sur les testaments, sur les monnaies, et sur quantité de matières, n’établissent pas une jurisprudence nouvelle ; elles ordonnent que toute action coupable, et qui a toujours été considérée comme telle, soit déférée au peuple, à dater d’une certaine époque. Et, pour le civil, celui qui établit une loi nouvelle, voudrait détruire tout ce qui s’est fait auparavant ! Consultez les lois Atinia, Furia, la loi Voconia dont nous parlons, et toutes celles de droit civil ; vous trouverez que toutes ces lois ne sont obligatoires que du jour de leur promulgation. Mais ceux qui accordent le plus d’autorité au préteur, déclarent eux-mêmes que ses édits n’ont de force que pendant un an ; et vous, vous voudriez que votre édit durât plus que la loi ! Si les calendes de janvier mettent fin au pouvoir de l’édit, pourquoi ce pouvoir ne commence-t-il pas aussi aux calendes de janvier ? Il n’est pas permis à un préteur d’empiéter par un édit sur l’année de son successeur, et il lui serait permis de revenir sur celle de son prédécesseur !

XLIII. Ensuite, si vous n’aviez pas établi cette jurisprudence dans l’intérêt d’un seul, vous auriez rédigé l’édit avec plus de précaution. Vous dites : QUICONQUE À FAIT OU FERÀ HÉRITIER… Mais que direz-vous si on a légué à l’héritier ou aux héritiers plus qu’il ne leur revient, bien que la loi Voconia le défende à ceux qui se font inscrire sur le registre des censeurs ? Pourquoi n’a-vez-vous pas prévu ce cas, qui est à peu près le même ? C’est que vous ne vous êtes pas soucié de l’intérêt général dans votre édit, mais de l’intérêt d’un seul ; preuve évidente que l’argent vous faisait parler. Encore cet édit serait-il moins blâmable, si vous l’aviez rendu pour l’avenir, quoiqu’il ne cessât pas d’être injuste ; on pourrait l’attaquer, mais on ne suspecterait pas les motifs qui vous l’ont fait rendre ; personne ne s’y exposerait ; tandis qu’il suffit de le voir pour comprendre qu’il n’a pas été fait dans l’intérêt du peuple, mais des héritiers substitués de P. Annius. Aussi, malgré cet étalage de paroles dont vous aviez orné le chapitre, malgré ce préambule destiné à cacher vos vues mercenaires, quel est le préteur qui ait voulu l’insérer dans son édit ? Non seulement il ne s’en est trouvé aucun, mais personne n’a craint de l’y voir insérer. Car, depuis votre préture, bien des gens ont fait des testaments semblables, entre autres, Annia, cette femme si riche, qui, sans déclaration et de l’avis de tous ses parents, a tout récemment légué ses biens à sa fille. Preuve bien évidente de l’opinion du peuple romain sur l’iniquité de cet homme, que personne n’ait craint de voir un préteur confirmer l’édit qu’il avait plu à Verrès de rendre. Il n’y a que vous seul à qui il ne suffise pas de réformer la volonté des vivants ; il faut encore que vous annuliez celle des morts. Vous-même, vous avez supprimé cet article dans votre édit de Sicile : vous vouliez sans doute, en cas de circonstances imprévues, statuer d’après l’édit de Rome. Mais ce moyen de défense que vous vous réserviez n’est qu’un écueil où vous avez