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mille sesterces de plus que ne l’indiquent les registres. Et voilà comment se sont grossies ces sommes immenses dont la source est ignorée, mais se découvre pourtant par quelques indices ; de là ces comptes ouverts chez Quintus et Cnéus Curtius Postumus, sous plusieurs noms dont aucun ne figure sur les registres ; de là, ces quatre millions de sesterces comptés à P. Badius, d’Athènes, comme je le prouverai par témoins ; de là cette préture si publiquement achetée : à moins qu’on ne demande encore de quelle manière il est devenu préteur. Sans doute c’est par ses talents, ses services, par une grande réputation d’intégrité, ou par son assiduité, ce qui serait la moindre chose ; lui qui, avant sa questure, n’avait vécu qu’avec des courtisanes et des entremetteurs ; qui depuis s’était conduit comme vous avez vu ; qui, après cette questure abominable, était à peine resté trois jours à Rome où il ne s’était pas fait oublier, quoique absent, se rappelant au souvenir de tout le monde par ses infamies : voilà l’homme qui, de retour, ne pouvait manquer sur-le-champ d’être élevé gratuitement à la préture ? D’autres sommes ont encore été données pour qu’on ne l’accusât point : à qui ? cela ne fait rien, je pense, ni à moi, ni à la cause ; mais qu’elles aient été données, c’est ce dont personne n’a douté dès le commencement de l’affaire. Homme absurde et insensé ! Quand vous arrangiez vos comptes, et que vous vouliez éviter d’être poursuivi à cause de ces richesses dont l’origine était si extraordinaire, vous croyiez donc échapper à tous les soupçons en n’inscrivant sur vos registres ni les noms de ceux à qui vous aviez confié vos fonds, ni les reconnaissances qu’ils vous avaient faites, tandis que les Curtius marquaient sur les leurs tant de sommes dont ils se reconnaissaient débiteurs envers vous. Que vous servait-il de ne pas écrire tout cela ? vous imaginiez-vous qu’on vous jugerait sur vos seuls registres ?

XL. Mais venons enfin à cette merveilleuse préture, à ces faits si odieux, plus connus de ceux qui m’entourent que de moi-même, qui ne me présente ici qu’après les avoir examinés avec tant de soin ; encore suis-je certain, malgré mon attention, de ne pouvoir éviter le reproche de négligence. Bien des gens s’écrient : « Eh, quoi ! il ne parle pas de cette affaire où j’étais présent ; il ne dit pas un mot de cette injustice faite à mon ami, à moi-même ! » Je supplie donc tous ceux qui connaissent les indignités de cet homme, c’est-à-dire, tout le peuple romain, de m’excuser et de croire que, si j’omets beaucoup de choses, ce ne sera point par négligence, mais parce que je veux laisser aux témoins le soin de les faire connaître, et que si je parais en oublier beaucoup d’autres, c’est afin de ménager le temps. Je ferai même cet aveu malgré moi : comme il n’y a pas un instant de la vie de Verrès qui ne soit marqué par une mauvaise action, je n’ai pu connaître toutes celles qu’il a commises. Ainsi, en écoutant mon accusation, n’exigez de moi, lorsque je l’attaquerai soit sur la manière dont il a administré la justice, soit sur l’entretien des édifices publics, que des choses dignes d’un accusé à qui l’on ne peut reprocher rien de petit, rien de médiocre. Verrès fut donc élu préteur au moment où il quittait la belle Chélidon, après y avoir pris les auspices, et le sort, plus favorable à ses désirs et à