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ment il s’était exposé à un si grand danger, ou quel accident l’y avait jeté. Il ne peut dire en effet que ce soit en voulant réprimer une sédition, en ordonnant une réquisition de blé, en levant une contribution ou en travaillant aux intérêts de la république ; que c’est parce qu’il a commandé trop durement, parce qu’il a puni, menacé. S’excusât-il ainsi, il n’en mériterait pas plus d’indulgence, puisque c’est sa cruauté qui l’a précipité dans tous ces périls.

XXVIII. Mais non ; il n’osera nous dire ni la véritable cause de ce soulèvement, ni en inventer une fausse. En effet, P. Tettius, l’un des hommes les plus considérés de son ordre, et alors huissier de Néron, déclare avoir appris cet événement à Lampsaque ; et C. Varron, personnage distingué par tous les genres de mérite, qui servait alors en Asie, comme tribun, dépose avoir entendu le même récit de la bouche de Philodamus. Pouvez-vous douter, d’après cela, qu’en sauvant l’accusé du péril qui le menaçait, la fortune ne l’ait réservé à votre justice ? Mais peut-être répétera-t-il ce que disait Hortensius dans la première action, lorsqu’il interrompit la déposition de Tettius. Et Hortensius a bien fait voir dans cette occasion qu’il ne se tait pas quand il a quelque chose à dire, et que s’il garde le silence, c’est qu’il n’a rien à répondre. Il dit donc alors que Philodamus et son fils avaient été condamnés par C. Néron. Oui, mais Néron et son conseil ne se décidèrent que sur un fait constant : la mort de Cornelius. Ils pensèrent qu’aucun homme n’a le droit d’en tuer un autre, même pour se venger d’une injure. Tout ce que je vois par ce jugement, Verrès, c’est que vous n’êtes pas absous du crime qu’on vous reproche, et que Philodamus et son fils sont condamnés comme meurtriers. Cependant, quelle fut sa condamnation ? écoutez, juges, je vous en prie ; ayez enfin compassion de nos alliés, et montrez qu’ils doivent trouver quelque protection dans votre justice.

XXIX. Toute l’Asie regardant comme un acte de justice le meurtre d’un homme soi-disant licteur de Verrès, mais en réalité le ministre de ses débauches, Verrès trembla que Philodamus ne fût acquitté par Néron ; il prie, il conjure Dolabella de sortir de sa province et d’aller trouver Néron ; il lui représente qu’il est perdu si Philodamus n’est pas condamné, s’il peut une fois venir à Rome. Dolabella fut ému : il commit cette faute, qui lui a attiré beaucoup de reproches. Dans l’intérêt du plus pervers de tous les hommes, il abandonne son gouvernement, une guerre commencée, et se rend en Asie, dans une province commandée par un autre. Arrivé près de Néron, il le presse d’instruire le procès de Philodamus. Il était venu lui-même pour faire partie du tribunal, et dire le premier son avis ; il avait aussi amené ses préfets et ses tribuns militaires que Néron appela tous au conseil ; on y voyait encore siéger, comme le juge le plus équitable, Verrès lui-même ; puis quelques juges en toge, créanciers des Grecs, a qui la faveur du lieutenant était d’autant plus utile pour recouvrer leurs créances, que ce lieutenant était plus corrompu. L’infortuné Philodamus ne pouvait trouver de défenseur. En effet, quel Romain eût bravé le crédit de Dolabella, quel Grec n’eût été intimidé par son