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ait en sa possession une foule de tableaux et de statues ; c’est le fruit de ses rapines ; mais il dira sans doute, suivant son habitude, qu’il les a achetés. Ainsi nous avions envoyé en Achaïe, en Asie, en Pamphylie, aux frais du trésor public et avec le titre de lieutenant, un marchand de statues et de tableaux ! J’ai entre les mains tous ses registres de recette et ceux de son père ; je les ai lus et vérifiés avec la plus grande attention. J’ai, de votre père, les registres de toute sa vie ; et de vous, ceux du temps où vous dites en avoir tenu. Car avec cet homme, juges, vous allez découvrir quelque chose de nouveau. Nous entendons dire qu’un homme n’a jamais tenu de registres ; et c’est ce qu’on a dit d’Antonius ; mais à tort, puisqu’il en a tenu fort exactement ; j’accorde cependant qu’il y ait des exemples de cette négligence fort blâmable. On nous a cité un magistrat qui n’avait commencé les siens qu’à une certaine époque ; cette conduite peut s’expliquer. Mais, ce qui est aussi nouveau que ridicule, c’est la réponse que nous a faite cet homme quand nous lui avons demandé ses registres. Il nous a dit qu’il en avait tenu jusqu’au consulat de M. Térentius et de C. Cassius ; et qu’il avait cessé d’en tenir depuis. Quelle est la valeur de cette réponse ? c’est ce que nous examinerons plus tard : peu m’importe en ce moment ; car, pour l’époque dont je parle, j’ai entre les mains vos registres et ceux de votre père. Vous avez rapporté des provinces toutes les plus belles statues, les plus admirables tableaux, vous ne pouvez le nier ; ou plutôt, que n’osez-vous le nier ! Eh bien ! montrez-nous par vos registres, ou par ceux de votre père, que vous avez acheté un seul de ces tableaux ; et votre cause est gagnée. Vous ne pouvez pas même prouver comment vous avez acquis ces deux statues d’une beauté si parfaite, qui sont aujourd’hui à l’entrée de votre cour, et qui ont orné pendant si longtemps les deux côtés de la porte du temple de Junon samienne ; je parle de ces deux statues seul reste de tant de chefs-d’œuvre que vous avez fait vendre, qui sont encore dans votre palais en attendant l’enchérisseur.

XXIV. Peut-être n’avait-il de passion que pour ces seuls objets ; peut-être était-il raisonnable et modéré dans ses autres désirs. Mais de combien d’enfants de condition libre, de combien de mères de famille n’a-t-il pas outragé la pudeur durant cette infâme légation ? Quelle est la ville où il a mis le pied, sans y laisser plus de traces de ses débauches que de ses pas ? Mais je supprimerai tous les faits que l’on pourrait nier ; j’en négligerai même de certains et d’avérés. De tant d’infamies, je n’en choisirai qu’une, afin d’arriver plus promptement à la Sicile, puisque c’est la cause de cette province que je suis chargé de défendre. Sur les bords de l’Hellespont s’élève la ville de Lampsaque, une des plus renommées et des plus célèbres de l’Asie ; les habitants, d’ailleurs pleins d’égards et de prévenances pour les citoyens romains, sont naturellement tranquilles et paisibles, plus jaloux que tous les autres Grecs de ce loisir qui fait leurs délices, et qu’ils ont toujours préféré au tumulte et à la violence. Verrès ayant obtenu, à force de prières, de Cn. Dolabella, d’être envoyé vers le roi Nicomède et le roi Sadala, ce qu’il avait sollicité bien plus dans son intérêt que dans celui de la république, arrive à Lampsaque, pour le malheur et presque pour la ruine de cette cité. On le conduit chez un certain Janitor, qui lui donne l’hospitalité ; les personnes,