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et de l’impartialité de son juge. Oui, Aquillius, ou la vérité triomphera devant vous et votre conseil, ou, repoussée de ce tribunal par la violence et l’intrigue, elle ne pourra plus trouver sur la terre d’asile assuré.

II. Si je parle ainsi, Aquillius, ce n’est pas que je révoque en doute votre intégrité et la fermeté de vos principes, ou que Publius ne doive une entière confiance aux hommes éclairés que vous avez choisis pour assesseurs. Mais, d’abord, il ne peut envisager sans frémir le danger qu’il court dans un procès où il s’agit de sa fortune et de son état : et cette réflexion le rappelle à l’idée de votre pouvoir, aussi souvent qu’à celle de votre équité. Car tous ceux dont la vie est dans les mains d’autrui, songent plus encore à ce que peut, qu’a ce que doit faire celui de qui dépend leur sort. Ensuite, Publius a pour adversaire, en apparence Névius, mais en effet les hommes les plus éloquents de notre siècle, les citoyens les plus distingués par leur rang et leur caractère, qui rivalisent de zèle et d’efforts pour soutenir Névius, si toutefois c’est le soutenir que de servir sa haine, et de l’aider à terrasser, dans une lutte inégale, celui qu’il veut perdre. Est-il en effet, C. Aquillius, une lutte plus inégale, une procédure plus inique, que celle où nous sommes engagés ? Quoi ! je défends l’existence, l’honneur, la fortune d’un citoyen, et il faut que je parle le premier ! Et cela, lorsque Quintus Hortensius, qui s’est chargé de l’accuser, m’attend pour me répondre avec ce talent et cette éloquence dont la nature a été si libérale envers lui. Ainsi, ce devoir qui m’est imposé d’écarter les traits et de guérir les blessures, je suis forcé de le remplir avant que mon adversaire ait commencé l’attaque ; et l’on donne à nos ennemis, pour frapper, le moment ou il ne nous sera plus permis de repousser leurs coups ; en sorte que s’ils viennent, comme ils y sont préparés, à lancer contre nous les traits empoisonnés de la calomnie, il sera trop tard pour y porter remède. Funeste effet de l’injustice et de la partialité du préteur ! Il a voulu d’abord, sans égard pour l’usage, que l’on prononçât sur l’honneur de mon client, avant de juger le fond de l’affaire. Ensuite il a réglé la procédure de manière que l’accusé fût contraint de se justifier, avant que l’accusateur eût même ouvert la bouche. C’est l’ouvrage du crédit et de l’influence de ces hommes qui servent la passion et la cupidité de Névius avec autant de zèle que s’il s’agissait de leur fortune ou de leur honneur, et qui font l’essai de leur pouvoir dans des affaires ou ils devraient d’autant moins le montrer, que le mérite et la naissance leur en assurent davantage. Découragé, accablé partant de contre-temps, Publius a recours a votre loyauté, à votre justice, à votre humanité. Jusqu’ici la violence de ses adversaires ne lui a permis de trouver ni réciprocité dans les droits, ni liberté dans les poursuites, ni impartialité dans les magistrats. Tout enfin, par la plus grande des injustices, tout semble s’être réuni pour sa perte. Il vous prie donc, Aquillius, et vous qui formez ce conseil, il vous conjure de faire en sorte que l’équité, si cruellement persécutée et battue par tant d’orages, trouve enfin, a l’abri de votre tribunal, un port et un refuge.