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loi du sort dans Cn. Carbon ; lui qui les a tous deux, je ne dis pas abandonnés, mais trahis, mais accablés ? Je vous en supplie, juges, n’appréciez pas ses crimes d’après la brièveté de mon discours, mais d’après leur grandeur : car je suis obligé de me hâter, afin de pouvoir vous exposer tout ce que mon devoir me prescrit. À présent que vous connaissez sa questure, que vous êtes convaincus de ses vols et de sa scélératesse dans l’exercice de cette première charge, écoutez la suite : encore ai-je dessein de passer sous silence cette époque funeste des proscriptions et des brigandages de Sylla, ne voulant pas laisser à l’accusé un moyen de défense dans nos malheurs communs. Je ne lui reprocherai que ses crimes, ceux qui sont avérés. Retranchez donc de l’accusation tout ce temps de la tyrannie de Sylla, et apprenez quelle fut l’admirable lieutenance de Verrès.

XVII. Aussitôt que la Cilicie fut assignée à Cn. Dolabella pour son département, avec quelle ardeur, dieux immortels ! et par combien de sollicitations Verrès n’a-t-il pas emporté d’assaut cette lieutenance ! Telle fut la cause des principaux malheurs de Cn. Dolabella. Car, une fois parti de Rome, Verrès, par sa conduite dans toute la route, ne parut pas, aux pays qu’il traversait, un lieutenant du peuple romain, mais un fléau dévastateur. Arrivé en Achaïe, (je me tais sur les crimes moins graves, tels que tout autre en eût pu commettre : je ne veux rien dire qui ne soit extraordinaire et qui ne parût incroyable d’un autre), il demande de l’argent au magistrat de Sicyone. Nous n’en faisons pas un crime à Verrès, d’autres en ont demandé comme lui.

Le magistrat n’en donnant pas, il le punit : cela est odieux, mais n’est pas sans exemple. Apprenez le genre de punition, et vous jugerez quel homme est Verrès. Il fait allumer dans un espace étroit un feu de bois vert et humide : il y fait jeter un homme libre, appartenant à une famille noble dans le pays, ami et allié du peuple romain ; et quand cet homme est presque étouffé par là fumée, il l’y laisse à demi mort. Quant aux statues, aux tableaux qu’il enleva de l’Achaïe, je n’en dirai rien ici, je me réserve d’exposer ailleurs les effets de cette passion de Verrès. Vous avez entendu parler de la quantité d’or enlevée du temple de Minerve, à Athènes : il en a été question dans le procès de Cn. Dolabella : que dis-je ? on a même estimé la somme. Eh bien ! vous trouverez que Verrès était non seulement le complice, mais le principal auteur de ce vol.

XVIII. Il arrive à Délos : là, pendant la nuit, il enlève du temple si révéré d’Apollon les statues les plus belles et les plus antiques, et les fait porter secrètement sur son vaisseau. Le lendemain, à la vue de leur temple dépouillé, les habitants de Délos furent saisis de douleur : car cet édifiée est d’une si haute antiquité, et ces peuples l’ont en si grande vénération qu’ils le regardent comme le lieu même où naquit Apollon : toutefois, ils n’osèrent se plaindre, dans la crainte que Dolabella n’y fût pour quelque chose. Alors, juges, il s’éleva tout à coup des tempêtes si violentes, que Dolabella, pressé de partir, ne pouvait ni se mettre en mer, ni même rester dans la ville, tant les vagues s’y précipitaient avec fureur. Soudain le vaisseau de ce pirate, chargé des images sacrées, vient se briser sur le rivage, lancé par les