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vait subsister ; le second jour enleva aux amis et aux défenseurs de Verrés non seulement l’espoir de le faire triompher, mais encore la volonté de le défendre ; et le troisième jour, il était si accablé, que, feignant d’être malade, il délibérait non plus sur ce qu’il répondrait, mais sur les moyens de ne pas répondre : et enfin, les six derniers jours, ces accusations, ces témoins, venus de tous côtés et de Rome et des provinces, l’avaient tellement anéanti, tellement écrasé, que, dans l’intervalle des dernières fêtes, tout le monde le déclarait non pas ajourné, mais condamné.

VIII. Ainsi, juges, pour ce qui me regarde, j’ai gagné ma cause ; en effet, je n’ai pas désiré les dépouilles de C. Verrès, mais l’estime du peuple romain. Mon devoir était de n’accuser qu’avec de justes motifs ; or, quel droit plus légitime que celui dont j’ai été revêtu par l’illustre province qui m’a proclamé son défenseur ? de servir la république ; or quoi de plus important pour sa gloire dans un moment où les tribunaux sont en butte à tant de haines, que d’amener devant eux un homme dont la condamnation puisse rendre à cet ordre l’estime et la faveur du peuple romain ? de montrer et de persuader que l’accusé est vraiment coupable ? or, quel est le citoyen qui n’ait remporté dès les premières audiences la conviction que les forfaits, les rapines, les infamies de tous ceux qui ont été condamnés précédemment, pourraient à peine, même rassemblés sur une seule tête, être mis en balance et comparés avec la moindre partie des crimes de Verrés ? Mais vous, juges, dans ce qui touche à votre renommée, à votre gloire, au salut commun, faites preuve de prévoyance et d’énergie : telle est l’autorité de votre rang que vous ne pouvez commettre une faute sans causer le plus grand dommage, sans porter le coup le plus funeste à la république. Le peuple romain ne peut espérer que d’autres membres du sénat soient capables de bien juger, si vous ne l’êtes pas ; et s’il désespérait de vous il faudrait bien qu’il cherchât un autre ordre de citoyens, une autre forme de tribunaux. Si cela vous semble peu de chose, parce que vous regardez comme un fardeau pesant et incommode les fonctions judiciaires, vous devez comprendre quelle est la différence pour vous de rejeter ce fardeau, ou de vous le voir enlever par le peuple romain, que vous n’aurez pu convaincre de votre intégrité et de votre bonne foi. Songez ensuite combien il sera dangereux pour nous de paraître devant ceux que le peuple romain, dans sa haine contre vous, aura établis pour vous juger. Car je dois vous dire ce que j’ai trop bien compris : sachez qu’il y a des hommes dont la haine est si forte contre votre ordre, qu’ils proclament déjà hautement leur désir de voir absoudre Verrès, dont ils connaissent d’ailleurs toute la scélératesse, et cela pour que le pouvoir judiciaire soit enlevé au sénat avec honte et ignominie. Ce qui m’a forcé de vous parler si longtemps sur le même sujet, ce ne sont pas, juges, mes craintes sur votre probité, mais les nouvelles espérances de ces hommes qui, ramenant tout à coup Verrès des portes de la ville au tribunal, ont fait soupçonner à quelques-uns que ce n’était pas sans motif qu’il avait changé de résolution.

IX. Maintenant, pour épargner de nouvelles