Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

admis à se porter accusateur, comme il le demandait, ni même à souscrire l’accusation. J’allai en Sicile pour informer contre Verrès : on fut alors convaincu de mon activité par la promptitude de mon retour ; de mon zèle par la multitude des pièces et des témoins ; enfin de ma délicatesse et de mon désintéressement, par le soin que j’avais pris en arrivant, moi sénateur, chez les alliés du peuple romain, et dans une province où j’avais été questeur, et dont j’allais plaider la cause, de descendre plutôt chez mes hôtes et mes amis que chez ceux qui avaient imploré mon secours. Mon arrivée ne causa ni gêne ni dépense à personne, soit en public soit en particulier. Dans mes informations, je pris l’autorité que me donnait la loi, et non celle que je pouvais prendre d’après les dispositions favorables des victimes de l’accusé. De retour à Rome, Verrès lui-même et ses amis, hommes riches et élégants, avaient, pour ralentir l’ardeur des témoins, fait courir le bruit que, gagné par une forte somme d’argent, j’avais renoncé à toute accusation sérieuse. Quoique personne ne les crût, puisque j’avais pour garants les Siciliens qui m’avaient connu questeur dans leur province, et les plus illustres citoyens de Rome qui nous connaissent tout aussi bien que nous les connaissons, je craignis qu’on ne doutât de ma bonne foi et de mon intégrité, jusqu’au moment de la récusation des juges.

VII. Je savais que, dans la récusation des juges, quelques-uns n’avaient pu, de nos, jours, éviter le soupçon de connivence, lorsque dans l’accusation même on approuvait leur zèle et leur fidélité. Pour moi, à la manière dont j’ai exercé ce droit de récusation, il est certain que, depuis l’établissement de l’ordre actuel, aucun tribunal n’a égalé celui-ci en éclat et en dignité. Cet honneur, Verrès prétend le partager avec moi, lui qui a récusé P. Galba pour conserver Lucrétius, et qui, lorsque son défenseur lui demandait pour quelle raison il avait laissé récuser ses plus intimes amis, Sex. Péducéus, Q. Considius, Q. Junius, lui répondit qu’il les connaissait trop indépendants et trop attachés à leurs idées. Je me flattais alors que mon fardeau devenait aussi le vôtre ; je pensais avoir donné à ceux qui me connaissent, comme à ceux qui ne me connaissent pas, des preuves de ma droiture et de mon dévouement : mon attente n’a pas été trompée. En effet, dans les comices où devait se décider mon élection, malgré les immenses largesses prodiguées par cet homme pour l’empêcher, le peuple romain a jugé que l’argent, qui n’avait pu triompher de ma fidélité, ne devait pas être un obstacle. Et le premier jour, juges, où, appelés à prononcer sur cet accusé, vous avez pris séance, quel homme, si ennemi de votre ordre, si avide de réformes, de nouveaux tribunaux et de nouveaux juges, n’a été pénétré de respect à la vue de votre assemblée ? Grâce à votre intégrité, je recueillais le fruit de mon zèle et je parvenais à mon but. Une heure de plaidoyer avait ravi à un accusé audacieux, riche, prodigue, déterminé, tout espoir de corrompre la justice ; le premier jour, le peuple romain était déjà convaincu par le grand nombre de témoins que j’avais cités, que, si cet homme était absous, la république ne pou-