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préteur. Des sommes incalculables, levées sur les biens des agriculteurs, par des ordonnances aussi criminelles qu’inouïes ; les alliés les plus fidèles traités en ennemis, des citoyens romains torturés et mis à mort, comme des esclaves ; les hommes les plus coupables déclarés innocents et rendus à la liberté pour de l’argent ; les plus distingués, les plus intègres, accusés en leur absence, condamnés et bannis sans être entendus ; les ports les mieux fortifiés, les villes les plus puissantes et les plus sûres ouvertes aux pirates et aux brigands ; les matelots et les soldats siciliens, nos alliés et nos amis, périssant de faim ; nos meilleures flottes, celles qui nous étaient le plus utiles, perdues, détruites, à la honte du peuple romain : voilà les actes qui ont signalé sa préture. Alors aussi, il a pillé et dépouillé les monuments les plus antiques, destinés à l’ornement des villes, par de riches souverains, ou que nos généraux vainqueurs avaient donnés ou rendus aux cités siciliennes. Et ce n’est pas seulement sur les statues et les ornements publics, mais sur les temples consacrés aux cultes les plus saints, qu’il a exercé ses brigandages ; enfin il n’a laissé aux Siciliens aucun dieu, pour peu que la statue en parût faite avec quelque talent, et par un ancien artiste. Quant à ses débauches, et à ses infâmes dissolutions, la pudeur m’empêche de les rappeler ; je craindrais d’augmenter par de tels récits la douleur de ces infortunés, qui n’ont pu garantir de sa lubricité leurs enfants et leurs épouses. Mais ces horreurs, peut-être les a-t-il commises de manière à ce qu’elles ne fussent pas connues de tout le monde. Pas un homme, je le pense, n’a entendu le nom de Verrès, qui ne puisse raconter tous ses forfaits : aussi ai-je bien plus à craindre de paraître oublier quelques-uns de ses crimes, que d’en inventer pour le perdre. Il ne me semble pas, en effet, que la multitude qui nous entoure soit venue pour apprendre de moi les crimes dont il est accusé, mais pour se rappeler et reconnaître avec moi ce qu’elle sait déjà.

VI. En présence de tels faits, cet homme, réduit au désespoir, perdu sans ressource, tente de me combattre, d’une autre manière : il ne cherche pas à m’opposer l’éloquence d’un défenseur ; il ne s’appuie ni sur le crédit, ni sur l’autorité, ni sur la puissance de personne ; il feint, il est vrai, de compter sur tous ces moyens ; mais je vois quel est son but, car il ne se cache pas pour agir. Il fait briller à mes yeux les vains noms de la noblesse, c’est-à-dire, d’hommes arrogants, qui m’embarrassent bien moins parce qu’ils sont nobles, qu’ils ne me servent parce qu’ils sont connus ; il feint donc d’avoir confiance dans leur appui, tandis que depuis longtemps il prépare quelque autre machination. Quelle espérance a-t-il aujourd’hui ? Quel projet médite-t-il ? Je vais bientôt, juges, vous l’exposer en peu de mots ; mais écoutez d’abord, je vous le demande, comment il a arrêté son plan, dès l’origine. Dès qu’il fut de retour de sa province, une négociation, pour acheter le résultat de ce procès, fut conclue à grands frais : il s’en est tenu à ces conditions, à ce contrat, jusqu’au moment de la récusation des juges. Mais, lors de ce tirage au sort, la fortune du peuple romain ayant détruit l’espoir de cet insensé, et ma vigilance ayant déjoué l’audace des corrupteurs, dans la récusation des juges, le contrat fut rompu. Tout allait bien : la liste qui contenait vos noms et ceux des membres du con-