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pour cette accusation. Aussi presque jamais questeur ne s’est-il présenté en concurrence avec un autre pour accuser son préteur, qu’il n’ait été repoussé. C’est ainsi que L. Philon ne fut point reçu comme plaignant contre C. Servilius, pas plus que M. Aurélius Seaurus contre L. Flaccus, ou Cn. Pompée contre T. Albucius : aucun d’eux ne fut exclu pour indignité, mais parce qu’il était à craindre que l’autorité des juges ne sanctionnât cette coupable fantaisie de violer une si étroite liaison. Et remarquez que Cn. Pompée débattait avec C. Julius la même question que je débats avec vous. Il avait été questeur d’Albucius comme vous l’avez été de Verrès, et Julius, pour justifier son droit d’accusation, alléguait qu’il s’était chargé de la cause à la prière des Sardes, comme je l’ai fait à la prière des Siciliens. Toujours ce motif a prévalu ; toujours on a regardé comme le procédé le plus noble dans une accusation de prendre en main la défense des alliés, la sûreté d’une province, les intérêts des nations étrangères, au risque des ennemis qu’on s’attirait, des périls qu’on bravait, des peines, des soins et des travaux qu’il en pouvait coûter.

XX. En effet, si l’on peut approuver ceux qui demandent à poursuivre la réparation des injustices qu’ils ont souffertes, quoique guidés en cela par le ressentiment et non par l’intérêt de l’État, combien sera plus honorable, plus digne non-seulement de l’approbation, mais de la faveur publique, la conduite de ceux qui, n’ayant essuyé aucune injustice personnelle, sont émus par la douleur et les maux des alliés et des amis du peuple romain ! Dernièrement, L. Pison, ce citoyen si courageux et si intègre, demandait à porter plainte contre P. Gabinius, ce que demandait aussi Q. Cécilius, qui prétendait avoir à poursuivre d’anciens sujets d’inimitié. Outre que la considération et le rang de Pison parlaient hautement en sa faveur, sa demande était la plus légitime, les Achéens l’ayant choisi pour défenseur. En effet, puisque la loi sur les concussions est comme la protectrice des alliés et des amis du peuple romain, c’est une injustice de ne pas regarder comme le plus digne de soutenir cette loi et de poursuivre le coupable, celui que les alliés ont choisi pour leur avocat, pour défenseur de leur fortune. La plaidoirie qui sera la plus honorable dans les motifs ne sera-t-elle pas aussi la plus puissante pour convaincre ? Or, lequel de ces deux langages est le plus noble et le plus glorieux ? « J’ai accusé celui dont j’avais été questeur ; celui avec lequel m’avaient lié le sort, l’usage de nos ancêtres, la volonté des dieux et des hommes ; » ou bien : « J’ai accusé, à la prière de nos alliés et de nos amis ; j’ai été choisi par la province entière pour défendre ses droits et sa fortune. » Peut-on douter qu’il ne soit plus honorable d’accuser au nom de ceux chez qui l’on a exercé la questure, que d’accuser celui sous qui on l’a exercée ? Les plus illustres citoyens de Rome, dans les plus beaux temps de la république, regardaient comme le plus noble et le plus glorieux privilège de protéger leurs hôtes, leurs clients, les nations étrangères devenues alliées ou sujettes du peuple romain, de les garantir des injustices, et de veiller à leurs intérêts. On sait que M. Caton, cet homme qu’on nommait le sage, ce citoyen si célèbre et si plein de prudence, s’attira de nombreuses et puissantes inimitiés pour