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loges. Mais tout à coup, comme s’il eût pris un breuvage de Circé, d’homme qu’il était, le voilà devenu la bête vorace dont il porte le nom. Il revient à lui-même, à son caractère ; car de cet argent il en garde une grande partie, et en rend à cette femme aussi peu qu’il le veut.

XVIII. Maintenant si vous dites, Cécilius, que Verrès vous a fait tort, je l’avoue et je vous l’accorde ; si vous vous plaignez qu’il vous ait fait une injustice, je soutiendrai le contraire. Enfin cette injustice qui a été commise envers vous, personne de nous n’en doit poursuivre la vengeance avec plus de rigueur que vous-même, qui êtes l’offensé. Si depuis vous vous êtes réconcilié avec Verrès, si vous êtes allé le voir plusieurs fois, s’il a soupé chez vous après cet événement, voulez-vous être regardé comme un perfide, ou comme un prévaricateur ? Il faut que vous soyez l’un ou l’autre : mais je ne vous contesterai pas le droit de choisir entre ces deux rôles. Et si cette injustice même qu’il vous aurait faite n’existe plus, qu’alléguerez-vous encore pour avoir ici la préférence non-seulement sur moi, mais sur tout autre ; à moins que vous ne disiez, comme on vous en prête l’intention, que vous avez été questeur de Verrès. Ce serait une excellente raison, si nous disputions ensemble à qui aurait plus de droits à son amitié : mais quand il s’agit de déclarer lequel de nous sera son ennemi, il est ridicule de croire que les liaisons qu’on a eues avec un homme puissent sembler un motif suffisant pour l’attaquer. Car si vous aviez essuyé beaucoup d’injustices de la part de votre préteur, les supporter vous vaudrait plus d’éloges que d’en tirer vengeance ; mais lorsqu’il n’a rien fait de mieux dans sa vie que ce que vous appelez une injustice, les juges vous autoriseront-ils à violer les droits de l’amitié par un motif qu’ils réprouveraient dans tout autre ? Vous eût-il fait la plus grande injustice possible, dès que vous avez été son questeur, vous ne pouvez l’accuser sans mériter le blâme ; mais si vous n’en avez reçu aucune, vous ne pouvez l’accuser sans crime. Ainsi quand il y a doute sur l’injustice, quel juge, croyez-vous, n’aimera mieux vous voir sortir d’ici sans reproche que chargé d’un crime ?

XIX. Et voyez quelle différence il y a entre votre sentiment et le mien : vous qui sentez votre infériorité en toutes choses, vous croyez néanmoins devoir l’emporter sur moi par cela seul que vous avez été questeur de Verrès ; et moi, eussiez-vous l’avantage dans tout le reste, je penserais pour ce seul motif, qu’on devrait vous refuser le rôle d’accusateur. En effet, nous avons appris de nos ancêtres qu’un préteur devait tenir lieu de père à son questeur ; et qu’il n’y aurait aucune liaison plus juste, plus puissante, que cette union établie par le sort, cette communauté de gouvernement, de devoirs, de fonctions à remplir. Ainsi, quand bien même vous auriez le droit d’accuser Verrès, il y aurait, puisqu’il vous a tenu lieu de père, il y aurait de l’impiété à le faire. Mais, si, n’en ayant essuyé aucune injustice, vous accusez votre préteur, vous serez forcé d’avouer que vous lui déclarez une guerre injuste et sacrilège. Car de votre questure naît bien l’obligation de rendre compte des motifs qui vous portent à accuser celui dont vous avez été le questeur, mais non le droit de demander à ce titre la préférence