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c’est une inconséquence d’honorer ceux qui font les pièces et d’avilir ceux qui les représentent ?

Il vaut mieux insister sur les passages les plus attachants du livre. Rousseau a marqué franchement les défauts du théâtre français de son époque. Il accuse avec raison les tragiques contemporains de mettre sur la scène des êtres gigantesques, boursouflés, chimériques, et il prie ces sublimes auteurs de descendre un peu de leur continuelle élévation, de parler en phrases moins arrangées, de montrer parfois la simple humanité et de faire voir, non des héros, mais des hommes. Il se moque spirituellement de ceux qui désirent épurer la comédie : leurs pièces instruisent beaucoup, mais elles ennuient davantage ; autant aller au sermon ! Diderot fut touché au vif : « Rousseau, écrit-il, dit du mal du comique larmoyant parce que c’est mon genre ».

Mais Rousseau pensait moins à blesser Diderot qu’à proclamer ce qui lui semblait vrai. Saint-Preux fera la même satire du théâtre. Il jugera que le Français veut sur la scène de l’esprit et non du naturel ; que Corneille et Racine, avec tout leur génie, ne sont que des « parleurs » qui composent de beaux dialogues bien agencés et bien ronflants ; que les personnages de la tragédie ne visent qu’à briller et ne s’expriment qu’en maximes générales ; qu’une sentence leur coûte moins qu’un sentiment. Il sera plus sévère encore pour la comédie : elle ne quitte plus, dit-il, son ennuyeuse dignité, elle ne représente que des comtes, des chevaliers en habit doré.