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coteries où les deux sexes ne se rassemblent pas ; Genève garde son antique rudesse et l’on n’y connaît guère le vice et l’oisiveté. Un théâtre genevois serait donc une périlleuse innovation, et les habitants y perdraient leur temps, leur argent, leur vertu : plus de cercles ; les deux sexes journellement mêlés, se parant de leur mieux, s’offrant en montre dans des loges comme sur le devant d’une boutique ; les anciens usages méprisés ; la vieille simplicité remplacée par le bel air de Paris ; les courtauds imitant les marquis ; les comédiens inspirant le goût de la dissipation et devenant les arbitres de l’État.

Mais Rousseau porte la question plus haut encore. Il condamne les spectacles en eux-mêmes, à Paris, comme à Genève, et si ses arguments ne sont pas nouveaux, il les marque de son empreinte et les expose avec une éloquence si brillante et si chaleureuse que certains de ses admirateurs regardent la Lettre sur les spectacles comme son œuvre la plus parfaite. D’Alembert avoue qu’aucun sermonnaire n’a combattu le théâtre avec autant de force et de subtilité.

Selon Rousseau, le théâtre est inutile ; on croit s’y réunir, et c’est là que chacun s’isole, oubliant ses amis et ses proches pour s’intéresser à des fables ; les Romains, disait un barbare à qui l’on vantait le cirque, n’ont-ils ni femmes ni enfants ?

Le théâtre ne change pas les sentiments et les mœurs ; il les suit et les embellit, puisque l’auteur qui désire le succès flatte le goût général et prend