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avares. La pauvreté n’est point exposée à toutes ces peines et à tous ces périls. C’est un asile inviolable ; c’est un port assuré, c’est l’épreuve de la vertu et de la sagesse, c’est une imitation de la vie des anges.
Écoutez donc, mes frères, ce que je m’en vais vous dire. Ce n’est point un mal que de n’être pas pauvre, mais c’est un mal que de ne vouloir pas être pauvre. Ne considérez plus la pauvreté comme un mal, et elle ne sera plus un mal pour vous. Car tout le mal qu’on y trouve ne vient pas de ce qu’elle est naturellement, mais de la faiblesse et de l’imagination des hommes lâches, Quand je dis que la pauvreté n’est point un mal, je dis trop peu, et j’ai honte moi-même d’en parler si bassement. Car si vous avancez un peu dans la vertu et dans la sagesse chrétienne, vous trouverez que non seulement la pauvreté n’est pas un mal, mais qu’elle est la source de tous les biens. Que si quelqu’un vous offrait d’un côté l’empire, les grandes charges, les richesses et toutes les délices du monde, et de l’autre la pauvreté, et qu’il vous obligeât de choisir l’un ou l’autre, je ne doute point que vous ne fussiez prêts à embrasser la pauvreté de tout votre cœur, si vous aviez une fois connu les trésors et les plaisirs célestes qu’elle renferme.
4. Je sais que plusieurs se moquent de moi, en m’entendant parler de la sorte ; mais je ne m’en étonne pas : je vous conjure seulement de m’écouter avec patience, et je m’assure que vous serez bientôt de mon sentiment. Je ne puis mieux comparer la pauvreté qu’à une vierge extrêmement modeste et d’une admirable beauté, et l’avarice à quelqu’une de ces femmes monstrueuses comme Scylla, ou bien à l’hydre, ou bien à ces autres monstres qui sont dans les poètes. Ne m’alléguez point ici ceux qui accusent et qui détestent leur pauvreté, mais plutôt ceux qui en l’honorant se sont honorés eux-mêmes. C’est elle qui a toujours été aimée du saint prophète Élie, qui l’a nourri par un corbeau, et qui l’a fait enfin monter dans le ciel dans un char de feu. C’est elle qui a rendu son disciple Élisée non moins illustre que lui. C’est elle qui a fait admirer saint, Jeun-Baptiste de tous les Juifs, et qui a été la gloire de tous les apôtres. Achab, au contraire, Jézabel, Giesi, Judas, Néron et Caïphe, ont été idolâtres des richesses, et leur avarice sera pour jamais leur condamnation et leur honte.
Mais ne relevons pas seulement ceux qui se sont signalés par l’amour de la pauvreté, jetons les yeux sur la pauvreté même, et considérons l’excellente beauté de cette vierge. L’œil de l’avarice n’est jamais tranquille. Ou l’intempérance l’altère, ou l’envie le trouble, ou la fureur l’agite. Mais l’œil de la pauvreté est toujours pur, toujours agréable, et toujours paisible ; il n’a d’aversion pour personne, il est doux, Il est accessible, il est favorable à tout le monde. L’avarice au contraire est toujours inquiète. Car partout où est l’amour de l’argent, là se trouve aussi la source de la haine et de l’inimitié, des guerres et des querelles. La bouche de l’avarice est pleine d’injures et de médisances ; son cœur est rempli d’orgueil et de fiel, et son esprit d’artifices et de fourberies. Au contraire la langue de la pauvreté est toujours chaste et toujours modeste. Elle n’ouvre la bouche que pour rendre à Dieu des actions de grâces, que pour bénir les hommes, et pour leur parler avec une douceur humble, avec une estime respectueuse, avec une complaisance discrète, et avec une affection tendre et charitable. Si vous considérez tout le reste de son corps, vous y verrez une admirable proportion, et vous conclurez que la pauvreté est une vierge d’une pureté admirable et d’une parfaite beauté, et que l’avarice au contraire est un monstre par sa difformité et par sa laideur. Que si après tous ces avantages de la pauvreté, le monde néanmoins en a tant d’aversion, il ne faut pas s’en étonner, puisque les insensés ont la même horreur de toutes les autres vertus.
Mais vous m’objectez que le pauvre tous les jours est outragé par le riche. Et moi je vous réponds que c’est là un des grands avantages de la pauvreté. Car lequel des deux est le plus heureux de celui qui fait une injure ou de, celui qui la souffre ? N’est-il pas visible que c’est celui qui la souffre courageusement ? C’est donc l’avarice qui porte les hommes à outrager leurs frères, et c’est la pauvreté qui les porte à souffrir chrétiennement ces outrages. Cependant, me direz-vous, on voit le pauvre endurer la faim. Il est vrai ; saint Paul l’a soufferte aussi. Il ne trouve point, ajoutez-vous, un lieu de retraite. Avez-vous oublié que Jésus-Christ lui-même n’avait pas non plus où reposer sa tête ? Considérez jusqu’où s’élève la gloire de la pauvreté, jusqu’où elle vous fait monter. Elle vous associe à Jésus-Christ, elle vous rend l’imitateur de Dieu même.