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l’on porte à Jésus-Christ que de se résoudre, sur une seule de ses paroles, à prendre tout le soin possible de ceux qui ne sont que serviteurs comme nous.
Ayez donc soin des pauvres,.mes frères. Nourrissez-les de vos aumônes, et confiez-vous en Celui qui reçoit de vous cette aumône et qui vous dit : « C’est à moi que vous la donnez. » Car si ce n’était véritablement à lui que vous la donnez, il ne récompenserait pas votre don de la gloire de son royaume. Et si ce n’était aussi sur lui-même que retombe le mépris que vous faites de ses pauvres, il ne vous condamnerait pas aux feux éternels, lorsque vous renvoyez une personne abjecte et misérable sans assistance. Mais parce que c’est Jésus-Christ lui-même que l’on méprise en la personne de ce pauvre, ce mépris est un grand crime. C’est ainsi que saint Paul le persécutait, lorsqu’il croyait ne persécuter que ses disciples, et ce fut pour ce sujet que Jésus lui cria du ciel : « Pourquoi me persécutez-vous ? » (Act. 9, 43).
Lors donc, mes frères, que nous donnons l’aumône à un pauvre, donnons-la-lui comme à Jésus-Christ même, puisque nous devons plus croire ses paroles que nos yeux. Et quand nous voyons un pauvre, souvenons-nous de ses paroles, par lesquelles il déclare que c’est à lui que l’on donne. Quoique tout ce qui paraît à nos yeux ne soit point Jésus-Christ, c’est lui néanmoins qui reçoit et qui demande du pain sous l’habit et sous la figure de ce pauvre.
Vous rougissez peut-être, lorsque vous entendez dire que Jésus-Christ est pauvre, et qu’il vous demande du pain. Que ne rougissez-vous plutôt de ce que vous lui refusez du pain, lors même qu’il vous en demande ? L’un peut causer quelque honte et quelque pudeur, mais l’autre est digne de peine et de supplice. Car c’est sa bonté qui le porte à nous demander du pain, et une action de sa bonté ne nous peut être qu’un sujet de gloire ; au lieu que c’est notre propre cruauté qui nous porte à lui refuser ce qu’il nous demande. Que si vous ne croyez pas maintenant que c’est Jésus-Christ même à qui vous refusez, lorsque vous refusez à un pauvre qui vous demande l’aumône, au moins est-il certain que vous le croirez, lorsqu’il vous amènera devant tous les hommes au dernier jour, et qu’il dira : « C’est à moi-même que vous n’avez pas fait ce que vous n’avez pas fait aux moindres de mes serviteurs ». Que Dieu ne permette pas que nous apprenions jamais de sa bouche cette vérité funeste, mais que, la croyant dès cette heure sur sa parole, nous écoutions plutôt cette heureuse voix qui nous appelle à la félicité de son royaume : « Venez, vous que mon Père a bénis, etc. »
Vous me direz peut-être que je vous parle toujours de la charité et de l’aumône, et que je ne vous recommande autre chose que les pauvres. Je répondrai que j’ai bien raison de le faire, et que je ne cesserai jamais de vous exhorter à pratiquer cette vertu. Et quand même vous exécuteriez parfaitement ce que je désire de vous, je ne devrais pas laisser de vous encourager de nouveau, de peur de vous laisser retomber dans votre négligence ; toute fois je serais moins pressant dans mes instances ; mais puisque vous ne faites pas encore la moitié de ce que je vous demande, ce n’est plus moi que vous devez accuser de ces redites, et c’est à vous-mêmes que vous devez faire ces reproches, non pas à moi. Votre plainte est semblable à celle que ferait un enfant qui, par négligence ou par stupidité, ne pourrait qu’avec peine apprendre à lire, et se plaindrait de ce que son maître ne lui parlerait que de lettres et de syllabes.
Car je vous demande, qui d’entre vous est devenu par mes exhortations plus prompt et plus ardent à donner l’aumône ? Qui donne son bien avec plus de profusion aux pauvres ? Qui de vous en a donné la moitié ? Qui en a donné le tiers ? Ne serait-il donc pas étrange, lorsque vous n’avez encore rien appris de nous en ce point, de vouloir que nous cessions de vous instruire ? Vous devriez faire le contraire, et si nous nous lassions de vous exhorter à donner l’aumône, vous devriez nous conjurer de continuer toujours. Si quelqu’un de vous avait mal aux yeux, et que je fusse médecin, et qu’après quelques remèdes, voyant tout mon art inutile, je cessasse de le traiter, ne viendrait-il pas à ma porte, pour me reprocher, mon indifférence, et ne m’accuserait-il pas de discontinuer cette cure, lorsque son mal est encore dans toute sa force ? Que si pour me justifier je lui disais qu’il lui doit suffire que je lui aie donné tel et tel remède, se contenterait-il de ma réponse, et me laisserait-il en paix ? Ne me représenterait-il pas plutôt le peu d’avantage qu’il aurait tiré de mes remèdes, puisque son mal est encore aussi violent ?