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ce qui me paraît le plus grand de ses outrages. Ses amis le fuyaient, ses ennemis l’entouraient pendant son supplice, l’insultaient, l’injuriaient, se riaient, se moquaient, se raillaient de lui, les Juifs et les soldats d’en haut et d’en bas et les voleurs de chaque côté. Car il est marqué que d’abord ils lui dirent tous deux des injures, mais que l’un ensuite l’adora comme Dieu, pendant que l’autre le blasphémait. Il semble que Dieu ait voulu encore ici prévenir la malice des hommes, et que les voulant empêcher de dire que ce qui est rapporté de ces deux hommes avait été inventé, et que ce voleur n’était point un véritable voleur, il ait permis que le bon larron blasphémât d’abord Jésus-Christ pour faire admirer davantage la manière si soudaine et si puissante dont Dieu lui toucha le cœur.
3. Que la pensée donc d’une si admirable patience excite en vous le désir de l’imiter. Car que pouvez-vous souffrir d’aussi cruel et d’aussi ignominieux que ce que votre maître a souffert pour vous ? Quelqu’un vous a-t-il dit publiquement des injures ? Elles ne peuvent être aussi horribles que celles qu’on a dites contre Jésus-Christ. Vous a-t-on outragé avec des fouets et des verges ? Vous ne le pouvez être comme il l’a été, et on ne vous réduira point dans une nudité si honteuse. Vous a-t-on donné un soufflet ? Ce ne peut être avec des circonstances si outrageantes que celles que vous voyez ici. Considérez de plus, comme je viens de vous le dire, qui était celui qui souffrait ces choses, pour qui il les souffrait, et en quel temps il les souffrait.
Ce qui était encore plus insupportable, c’est que personne ne se plaignait d’une violence si extrême ; personne n’ouvrait la bouche pour défendre son innocence, et pour blâmer ces injustices. Tout le monde conspirait à l’outrager, les bourreaux et les soldats, le peuple et les prêtres. On regardait Jésus-Christ comme un imposteur et un séducteur, et on se raillait de lui comme d’un homme qui ne pouvait se défendre, ni soutenir ses paroles par ses actions. Jésus-Christ n’opposait que son silence à tous ces outrages. Il souffrait tout avec une constance infatigable, pour nous apprendre jusqu’où doit aller notre patience.
Cependant un si grand exemple nous est inutile. Qu’un serviteur ait fait une chose qui nous déplaise, nous entrons en fureur. Nous sommes inexorables et sans pitié, lorsqu’on fait quelque chose contre nous, et nous sommes insensibles à tout ce qui se fait contre Dieu. Nous n’épargnons pas même nos propres amis. Que l’un d’eux nous blesse en quelque chose, nous ne le pouvons souffrir ; qu’il nous méprise, nous devenons furieux. Il ne nous sert de rien de lire ou d’écouter la passion du Sauveur, de voir qu’un de ses disciples le trahit, que les autres l’abandonnent ; que les Juifs à qui il avait fait tant de bien se déclarent contre lui ; qu’on lui crache au visage, qu’un serviteur lui donne un soufflet, que les soldats l’outragent ; que les prêtres l’insultent ; que les voleurs le blasphèment, et que cependant il ne dit aucune parole d’aigreur, et qu’étant environné de tant de gens qui l’attaquent si cruellement, il ne les veut vaincre que par son silence.
Ceci nous apprend, mes frères, que plus nous aurons de douceur et de patience dans l’affliction, plus nous serons invincibles, et plus nous nous rendrons vénérables à tous les hommes. Qui n’admirerait cette paix où nous serons parmi les injures de ceux qui nous oppriment ? Que si nous nous laissons aller à l’impatience, tout le monde au contraire nous méprisera. Car comme celui qui souffre avec constance paraît innocent, lors même qu’il est coupable, de même celui qui étant innocent témoigne de l’impatience dans ce qu’il souffre, semble justifier les maux qu’il endure, et ou le regarde comme un esclave de la colère, qui assujettit la noblesse de son âme à la tyrannie de sa passion. Celui qui est dans cet état a beau être libre ; dès lors qu’il s’asservit à la colère, il est esclave, quand il aurait d’ailleurs mille serviteurs qui le regarderaient comme leur maître.
Vous me répondrez peut-être que celui contre qui vous vous emportez vous a offensé cruellement. Qu’importe ? N’est-ce pas alors qu’il faut témoigner plus de vertu ? Ne voyons-nous pas que les bêtes les plus furieuses ne nous font point de mal, lorsque nous ne les aigrissons pas, et qu’elles ne témoignent leur furie que contre ceux qui les attaquent et qui les irritent ? Que si ‘vous vous trouvez dans la même disposition, ne pouvant retenir votre colère lorsqu’on vous a irrité, quel avantage avez-vous donc sur des bêtes ? On peut dire même qu’elles en ont sur vous. Car d’ordinaire les hommes les attaquent les premiers, et leur colère n’est pas en leur pouvoir, parce qu’elles