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commença par le porter à désobéir à Samuel, à offrir lui-même à Dieu en l’absence du prophète les victimes et les holocaustes. Lorsque Samuel l’accusa de ce crime, il répondit qu’il y avait été engagé par les ennemis qui le pressaient, et, au lieu d’être dans la douleur de son péché, il n’en fut pas plus touché que s’il ne l’eût point commis. Dieu lui ordonna ensuite d’exterminer entièrement les Amalécites, et il conserva le roi et une partie du peuple et du butin contre l’ordre divin. Il s’emporta encore de fureur contre David et il fit tout ce qu’il put pour le perdre, et ainsi tombant de jour en jour dans de nouvelles fautes, il se trouva enfin dans le fond de cet abîme où le démon avait résolu de l’entraîner.
C’est ainsi que ce même esprit de malice se conduisit autrefois envers Caïn. Il ne lui persuada pas d’abord de tuer son frère. L’horreur d’un si grand crime l’aurait frappé et lui en aurait fait perdre la pensée pour jamais. Il commence par le porter à n’offrir à Dieu que ce qu’il avait de moins bon dans ses troupeaux, il lui fait croire qu’en cela il ne commettait aucun mal. Il lui empoisonne ensuite le cœur par une secrète envie, et il lui représente encore ce crime comme une chose de peu d’importance. Ainsi s’étant emparé peu à peu du fond de son âme, il le pousse enfin dans le parricide, et après lui avoir inspiré une assez grande barbarie pour le commettre, il lui donne ensuite assez d’impudence pour le nier.
Il faut donc veiller avec grand soin contre le mal dans ses premières approches. Quand le péché dont nous sommes tentés ne devrait attirer après lui aucune autre fâcheuse suite, nous ne devrions pas laisser de le fuir de toutes nos forces ; mais étant assurés d’ailleurs qu’un premier mal est bientôt suivi d’un autre et qu’il croît dans l’âme par des degrés insensibles, nous ne pouvons veiller assez pour l’étouffer dès sa naissance. Il ne faut pas s’arrêter à considérer la qualité du premier péché dont nous nous sentons tentés, ni à juger s’il est peu ou beaucoup considérable. Nous devons être persuadés que si nous n’arrachons cette racine, quelque petite qu’elle soit d’abord, elle produira dans la suite des fruits de mort.
Ce que je vais dire vous surprendra. Il me semble que nous devons moins veiller contre les grands crimes que contre les fautes qui nous paraissent légères et que nous méprisons aisément. L’horreur des premiers peut assez nous en défendre, mais la petitesse des autres nous surprend, et comme elle trouve notre âme dans une certaine indifférence et comme dans une sorte de mépris, cette insensibilité même fait qu’elle ne peut plus s’élever contre ces péchés pour les combattre et pour les vaincre. C’est ce qui fait qu’en très-peu de temps ils croissent par notre faute et que de petits qu’ils étaient ils deviennent grands.
Nous voyons tous les jours une image de ce que je dis dans ce qui arrive dans le corps. Car souvent de petits maux qu’on négligeait au commencement s’augmentent de telle sorte qu’enfin ils deviennent incurables. C’est ainsi que dans l’âme de Judas le mal grandit jusqu’à devenir crime de trahison. Si d’abord il n’eût pas regardé comme une faute légère le sacrilège qu’il commettait en volant un bien qui était destiné aux pauvres, il rie serait pas tombé dans une si noire perfidie. Si les Juifs de même n’eussent pas considéré d’abord l’orgueil dont ils étaient possédés comme une faute bien légère, ils n’en seraient pas venus jusqu’à cet excès de faire mourir en croix le Sauveur du monde.
Les plus grands crimes ne se sont jamais commis que de cette manière. Personne ne passe tout d’un coup de ta vertu au comble du vice. Il y a un reste de pudeur et de retenue qui est encore naturel à l’âme, qu’elle ne peut étouffer que peu à peu et par un long enchaînement de désordres et de crimes. C’est ainsi que le culte des idoles s’est introduit dans le monde, par suite de ce que les hommes ont eu trop de respect et des complaisances excessives pour d’autres hommes qui étaient morts ou pour d’autres qui étaient encore vivants. C’est ainsi qu’on s’est laissé aller jusqu’à adorer des images et des statues. C’est ainsi enfin que la fornication et tous les autres vices se sont répandus comme un déluge qui a inondé toute la terre.
Prenons un exemple : quelqu’un a ri mal à propos ; une personne sage l’en reprend, une autre au contraire lui lève tout ce scrupule en disant que ce n’est rien, qu’il n’y a point de mal à rire, que le ris est une chose innocente et qui ne produit aucun mal. Cependant c’est de cette source et de ces ris immodérés que sortent toutes les bouffonneries, toutes les railleries, toutes les paroles et toutes les actions déshonnêtes. Qu’on blâme de même