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leur crime ? S’ils étaient résolus de ne plus le regarder comme innocent, devaient-ils lui préférer un scélérat ? Mais, bien loin de s’adoucir, nous voyons au contraire que lorsque Pilate se lava les mains, et qu’il protesta hautement qu’il était innocent du sang de ce juste, ils crièrent tous : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants (25) ». Quand ils ont prononcé cette sentence contre eux-mêmes, Pilate leur permet ensuite tout ce qu’ils veulent. Mais je ne puis m’empêcher d’admirer ici leur aveuglement, et de considérer comment la cupidité aveugle l’esprit, jusqu’à ne plus lui laisser la liberté de reconnaître ce qui est juste et raisonnable. Car si vous consentez, ô Juifs, à ce que cette malédiction tombe sur vous, pourquoi voulez-vous encore qu’elle tombe sur vos enfants ? Cependant Jésus-Christ, qu’ils traitent avec tant d’outrage, fut trop bon pour les traiter avec autant de sévérité qu’ils témoignaient en avoir contre eux-mêmes et contre leurs propres enfants, et c’est au contraire d’eux et de leurs enfants qu’il choisit ce grand nombre de personnes qu’il appela à la pénitence, et qu’il combla de tant de grâces. Saint Paul était de ce peuple, ainsi que ces milliers de personnes qui crurent à Jérusalem : « Vous voyez, mon frère », dit saint Jacques : « combien de milliers de Juifs croient maintenant en Jésus-Christ » (Act. 21,10), et ces Juifs sans doute descendaient de ceux qui faisaient ici des imprécations si cruelles. Que si quelques-uns ont résisté à sa bonté, et ont rejeté ses grâces, c’est à leur opiniâtreté seule qu’ils doivent attribuer leur malheur.
« Alors Pilate leur délivra Barabas, et ayant fait fouetter Jésus, il le leur mit entre les mains pour être crucifié (26) ». Pourquoi le fait-il fouetter, sinon pour le traiter comme un condamné ; ou pour garder quelque forme de justice, ou pour satisfaire la cruauté des Juifs ? Il devait au moins résister avec plus de fermeté, principalement après leur avoir dit : « Prenez-le, vous autres, et jugez-le selon votre loi ». Car il y avait plusieurs considérations qui devaient détourner Pilate et les Juifs de ce détestable jugement. Tant de miracles si inouïs et si surprenants qu’il avait faits ; cette douceur incroyable d’un innocent avec laquelle il souffrait des injures si atroces ; ce silence si profond dans une rencontre si extraordinaire ; tant d’autres circonstances semblables, ne devaient-elles pas leur ouvrir les yeux, et leur frapper l’esprit et le cœur ? Car après avoir fait voir qu’il était homme par cette prière qu’il venait de faire à son Père dans le jardin des Oliviers, il montre ensuite qu’il était plus qu’un homme par ce silence qu’il garde, et par ce mépris qu’il témoigna de tout ce qu’on disait de lui. Ce silence seul était capable de le faire respecter de ses ennemis même, s’ils n’eussent été dans un tel état que rien ne pouvait plus les toucher.
3. C’est ainsi, mes frères, que lorsque la raison est une fois étouffée ou par l’ivresse de l’esprit, ou par l’emportement de la fureur, il est très-difficile qu’un homme même en revienne, à moins que ce ne soit une âme généreuse et capable de quelque chose de grand. Il est très-dangereux, oui, je le redis encore une fois, il est très-dangereux d’ouvrir la porte à des passions si violentes. On ne peut apporter assez de soin pour les rejeter loin de soi et pour leur fermer l’entrée dans son cœur. Si elles peuvent une fois s’en rendre les maîtresses et devenir les plus fortes, elles y font ensuite ce que fait un feu ardent dans une forêt.
C’est pourquoi je vous conjure, mes frères, de vous faire comme des retranchements et comme de fortes murailles pour vous défendre de ces passions et pour leur fermer l’entrée de vos âmes. Que personne n’ait recours à cette excuse qui est la source ordinaire de tous les désordres du monde. Qu’on ne dise plus : qu’importe telle ou telle chose ? Ce sont ces sortes de discours qui ouvrent la porte à toutes espèces de dérèglements. Le démon, étant aussi artificieux qu’il est, emploie toutes ses adresses et toute sa malice pour perdre les hommes li ne commence d’abord que par des choses fort légères et peu importantes. On peut le voir dans cet exemple que je vais rapporter.
Il avait résolu autrefois de faire tomber Saül dans les enchantements de cette femme qui avait l’esprit de Python. Ce crime était grossier, et s’il l’eût sollicité tout d’abord de le commettre, il ne lui aurait pu persuader. Car comment celui qui chassait avec tant de sévérité ces sortes de personnes de toute l’étendue de son royaume, eût-il pu se résoudre tout à coup à avoir quelque communication avec elles ? C’est pourquoi le démon ne le poussa dans cet excès que peu à peu et par degrés. Il