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2. « Mais les princes des prêtres et les sénateurs persuadèrent au peuple de demander Barabas et de perdre Jésus (20) ». Ainsi, pendant que Pilate faisait tous ses efforts pour leur épargner ce crime, ils faisaient de leur côté tout ce qu’ils pouvaient pour y tomber sans qu’il leur restât aucun prétexte pour excuser un si grand excès. Car enfin pouvait-on raisonnablement douter lequel des deux il fallait plutôt délivrer ; celui qui était manifestement coupable, ou celui dont au moins le crime était encore douteux ? Si un criminel pouvait, après même que son arrêt était prononcé, être arraché de la mort et du supplice qu’il était près de souffrir, combien pouvait-on davantage sauver celui dont le procès n’était pas encore instruit, et envers qui on n’avait gardé aucune forme ? Car sans doute Jésus-Christ ne leur paraissait pas plus coupable que les meurtriers et les homicides. C’est pourquoi l’Évangéliste dit que Barabas n’était pas seulement un voleur, mais que c’était « un voleur insigne », qui avait commis plusieurs meurtres. Cependant ils le préférèrent au Sauveur du monde, sans avoir aucun égard ni à la sainteté du jour « qui devait être inviolable » ni aux lois de l’humanité, ni à la justice, ni à la raison : leur envie et leur fureur les aveuglent entièrement ; n’étant pas contents de leur propre corruption, ils sollicitent encore le peuple de se joindre à eux, ce que Dieu permit sans doute, afin qu’ils lui répondissent un jour de l’aveuglement de ce peuple, et qu’il se vengeât sur eux de la malignité qu’ils lui ont inspirée. « Le gouverneur donc leur dit : Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre ? Ils lui répondirent : Barabas (21). Pilate leur dit : « Que ferai-je donc de Jésus qu’on appelle le Christ (22) » ? Il s’efforce de les toucher encore de quelque honte ; et il leur laisse la liberté de choisir, afin que par pudeur du moins ils choisissent le Sauveur, et qu’on puisse attribuer sa délivrance à leur douceur et à leur miséricorde. Car il voyait que plus il soutenait son innocence devant eux, plus ils s’opiniâtraient à le faire condamner ; et il crut qu’il viendrait plus aisément à bout d’eux, s’il les prenait par la douceur et par la générosité. Mais, bien loin d’entrer dans ces sentiments, « ils répondirent tous : Qu’il soit crucifié ! Le gouverneur dit : Mais quel mal a-t-il fait ? Et ils commencèrent à crier encore plus fort : Qu’il soit crucifié (23) ! Pilate donc voyant qu’il ne gagnait rien, mais que le tumulte s’excitait toujours de plus en plus, se fit apporter de l’eau, et, lavant ses mains devant tout le peuple, leur dit : Je suis innocent du sang de ce Juste. Ce sera à vous à en répondre (24) ». O Pilate, si vous croyez Jésus innocent, pourquoi donc le livrez-vous à la fureur de ce peuple ? Que ne l’arrachez-vous d’entre leurs mains, comme le tribun sauva depuis saint Paul d’entre les mains des Juifs, quoiqu’il sût combien il les aurait obligés, s’il avait voulu leur abandonner cet apôtre ? Il s’était excité une grande sédition, et toute la ville était en trouble à son sujet ; et néanmoins ce tribun nè laissa pas de résister courageusement au peuple, et de s’opposer à ses demandes injustes. Pilate, au contraire, ne fait rien paraître de cette générosité, ni de cette fermeté si digne d’un juge, et il ne témoigne que de la faiblesse. Il n’y avait donc là que des hommes corrompus. Pilate ne résiste point au peuple, ni le peuple aux prêtres. Ils se rendent tous inexcusables, puisque, après toutes les raisons que leur représente ce juge, ils élèvent encore leurs voix pour crier plus haut : « Qu’il soit crucifié ! » Ils ne se contentent plus que le Sauveur meure d’une simple mort, ils veulent malgré la résistance du juge qu’il soit condamné à la croix.
Considérez encore une fois, mes frères, combien Jésus-Christ a fait de choses pour les tirer de leur aveuglement. Car comme on voit qu’en plusieurs rencontres il s’efforçait de rappeler Judas à lui et de lui faire quitter son détestable dessein ; on voit de même qu’il s’efforce durant tout le temps de sa prédication et au moment de sa mort, d’apaiser la cruauté des prêtres et du peuple juif. Car ne devaient-us pas être touchés de voir Pilate se laver les mains, protester publiquement qu’il était innocent du sang de ce juste, leur demander lui-même la grâce de Jésus-Christ, et les prier de le délivrer à cause de la fête ? Si Judas même, quoiqu’il l’eût trahi, fut ensuite saisi de désespoir jusqu’à se pendre, et à condamner ainsi lui-même son action ; si le juge est si ferme à rejeter tous les faux crimes dont on voulait charger le Sauveur ; si la femme de Pilate est si inquiétée durant la nuit au sujet de cet innocent ; si Pilate demande sa grâce pour le sauver quand même il aurait été criminel, que leur pourra-t-il rester pour s’excuser de