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prouver. C’est ce que le prophète avait marqué longtemps auparavant par ces paroles : « Il a été jugé et condamné dans son humilité ». (Is. 53,8) Pilate était étrangement surpris de cette conduite. Et en effet c’était une chose surprenante de voir demeurer dans un silence si profond un homme qui avait tant de preuves si certaines de son innocence, que ceux mêmes qui l’accusaient ne trouvaient aucun crime à lui reprocher, et qu’il était visible que l’envie seule les faisait agir. C’est pourquoi voyant que tous les faux témoins qu’ils avaient sollicités n’avaient rien pu dire de sérieux, ils voulurent accabler l’innocent de leur seule autorité. Ils ne sont touchés ni de la mort de Judas, ni de la résistance de Pilate qui se lave les mains pour ne point tremper dans cette mort. Après même qu’il fut livré à Pilate, Jésus fit beaucoup de choses qui pouvaient les faire rentrer en eux-mêmes ; mais leur opiniâtreté fut inflexible, et rien ne les toucha.
Pilate donc voyant la fermeté de Jésus-Christ, lui dit : « N’entendez-vous pas de combien de choses ils vous accusent (13) » ? Il lui parlait de la sorte, afin qu’il se défendit lui-même, parce qu’il le voulait sauver. « Et il ne lui répondit pas un seul mot, de sorte que le gouverneur en était tout étonné (14) ». Mais comme Jésus-Christ ne répondait rien, Pilate s’avisa d’une autre invention. « Le gouverneur avait coutume, à toutes les fêtes de Pâques, de remettre au peuple un prisonnier, celui qu’ils voulaient (15). Or, il y avait alors dans la prison un insigne voleur nommé Barabas (16). Comme ils étaient donc tous assemblés, Pilate leur dit : Lequel voulez-vous que je vous délivre de Barabas ou de Jésus qui est appelé Christ (17) ? Car il savait bien que c’était par envie qu’ils l’avaient livré (18) ». il souhaite de délivrer Jésus par cette voie, afin que si les Juifs ne le voulaient pas absoudre comme innocent, ils le sauvassent au moins comme coupable par la considération d’une fête si solennelle. Considérez, mes frères, ce renversement des choses. Le peuple avait coutume de demander au gouverneur la grâce de quelque criminel. Et c’est ici le gouverneur même qui demande la grâce de Jésus-Christ, et cependant les Juifs n’en sont point touchés. Leur cruauté ne s’adoucit point, et leur envie redouble. Car ils ne pouvaient le convaincre d’aucun crime, alors même qu’il ne leur répondait pas. Son innocence et sa vie sans tache était une voix qui, dans son silence même, leur reprochait leur cruauté et leur injustice. « Et comme Pilate était assis sur son tribunal, sa femme lui envoya dire : Ne vous embarrassez point dans l’affaire de ce Juste. Car j’ai été aujourd’hui étrangement tourmentée dans un songe à cause de Lui (19) ». Remarquez encore combien cet événement devait être capable de les détourner de leur attentat. Car ce n’était pas une chose de peu d’importance que ce songe qui venait après tant d’autres preuves témoigner en faveur de l’innocence de Jésus-Christ.
Mais pourquoi, mes frères, n’est-ce point Pilate lui-même qui est tourmenté de ce songe ? C’est ou parce qu’il ne le méritait pas autant que sa femme, ou parce qu’on ne l’aurait pas cru s’il eût dit qu’il avait eu un songe, ou parce que l’ayant eu il n’aurait point voulu en parler. C’était donc par une providence particulière de Dieu que cette femme eut plutôt ce songe, afin que cet incident fût connu de tout le monde, et que son mari, touché de sa peine, fût plus réservé à condamner l’innocent. La rencontre du temps était bien remarquable ; puisqu’elle eut ce songe la nuit même où Jésus fut traîné devant le sanhédrin.
Vous me direz peut-être qu’il n’était pas sûr à Pilate de Sauver Jésus-Christ, puisqu’il était accusé d’un crime d’État ; et d’avoir voulu usurper la royauté. Mais il fallait donc prouver ce crime ; il fallait en convaincre l’accusé ; il fallait produire quelques marques de ces desseins imaginaires qu’il aurait formés sur l’État li fallait faire voir quels soldats il avait levés ; où étaient ses armées, ses trésors, et tous les préparatifs qu’il aurait dû faire pour exciter des troubles, et pour soutenir une guerre. C’est pourquoi Jésus-Christ ne l’excuse point de s’être laissé si grossièrement surprendre. Il lui dit à lui-même : « Celui qui m’a livré à vous est encore plus coupable « que vous ne l’êtes ». C’est sa seule mollesse qui le laisse aller à condamner Jésus-Christ au fouet, et après le fouet, à la mort et à la Croix. Pilate a été un homme faible et sans cœur ; mais les prêtres étaient malicieux et cruels. Ce furent eux qui, après que Pilate eut imaginé, pour sauver Jésus, de profiter de la coutume qui existait de délivrer un criminel à la fête de Pâques, sollicitèrent le peuple à demander plutôt Barabas.