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ceci, et prêtez l’oreille à mes paroles ». Ce langage ne pouvait que les rendre attentifs et les disposer à écouter favorablement sa défense. « Non, ces hommes ne sont point ivres, comme vous le pensez ». Que ce langage est doux et bienveillant ! Pierre avait pour lui la plus grande partie du peuple, et néanmoins il n’adresse à ses critiques que de bienveillantes paroles. Il écarte d’abord tout mauvais soupçon à leur égard, et n’établit sa propre défense qu’en second lieu. Aussi ne dit-il pas, comme vous vous l’imaginez par une supposition insensée, ou une froide plaisanterie, mais « comme vous le pensez ». Il donne ainsi à entendre qu’ils ne parlent point sérieusement, et il semble imputer leur faute bien plus à l’ignorance qu’à la malice.
« Non, ces hommes ne sont pas ivres, comme vous le pensez, puisqu’il n’est que la troisième heure du jour ». Cette raison est-elle péremptoire ? et les apôtres ne pouvaient-ils, en effet, s’être enivrés à la troisième heure du jour ? Sans doute, ils l’eussent pu ; mais, sans beaucoup insister sur cette circonstance, Pierre se borne à nier le fait qu’alléguaient ses détracteurs ; et cette réserve nous apprend à ne pas beaucoup parler hors de la nécessité. Au reste, la suite de son discours confirme cette assertion, et désormais il s’adresse à tous : « Mais c’est ce qui a été prédit par le prophète Joël, dans les derniers temps, dit le Seigneur ». (Joël, 2,28) L’apôtre ne nomme pas encore le Christ, et, sans faire mention de sa promesse, il rapporte tout au Père ; c’est de sa part une profonde habileté. Il évite donc d’insister de prime abord sur ce qui concernait Jésus-Christ, et de rappeler les promesses qu’il leur avait faites après sa mort sur la croix ; car t’eût été ruiner par avance tout le succès de sa prédication. Mais les apôtres ne pouvaient-ils pas, me direz-vous, prouver sa divinité ? Oui, sans doute, si vous supposer la foi en sa mort et sa résurrection. Mais en ce moment c’était ce qu’il fallait faire croire ; et, en parler inconsidérément, c’était s’exposer à se faire lapider.
« Je répandrai de mon Esprit sur toute chair ». Il leur donnait ainsi de bonnes espérances, car, s’ils le voulaient, ils pouvaient, eux aussi, recevoir ce divin Esprit. Mais il les avertit en même temps qu’ils n’en jouiront pas exclusivement, afin de ne pas exciter contre eux la jalousie des gentils ; et, pour couper dans sa racine toute pensée d’envie, il ajoute : « Et vos fils prophétiseront ». C’est comme s’il leur eût dit : Cette miraculeuse effusion de l’Esprit-Saint n’est ni votre bien, ni votre gloire exclusifs, mais la grâce en passera jusqu’à vos enfants. Par honneur il leur donne le nom de pères, et il appelle leurs fils ceux qui devaient être disciples de l’Évangile. Et vos jeunes gens auront des visions, et a vos vieillards auront des songes. Et, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes, et ils prophétiseront ». C’était adroitement leur insinuer qu’eux, les apôtres, étaient approuvés de Dieu, puisqu’ils avaient mérité de recevoir l’Esprit-Saint, tandis que les Juifs en étaient rejetés, parce qu’ils avaient crucifié le Seigneur Jésus.
Autrefois Jésus-Christ, pour apaiser l’irritation des Juifs, leur disait : « Par qui vos enfants chassent-ils les démons ? » (Mt. 12,27) Il ne disait pas, mes disciples, afin d’éviter tout soupçon de s’encenser lui-même ; et c’est ainsi que Pierre ne dit pas nous ne sommes pas ivres, mais nous parlons sous l’inspiration du Saint-Esprit. Observons aussi qu’il ne se borne pas à alléguer ce fait, mais qu’il l’appuie sur l’autorité d’un prophète. Aussi, cette autorité le remplit-elle de force et de courage. Sa simple parole avait suffi pour repousser l’accusation d’ivresse ; mais, quand il s’agit d’attester l’effusion de la grâce, il invoque l’autorité d’un prophète. « Je répandrai », dit le Seigneur, « de mon Esprit sur toute chair ». Cette expression générale se rapporte à ce que Dieu instruisait ses prophètes ou par songe, ou par une révélation manifeste. L’apôtre aborde ensuite ce passage assez terrible de la prophétie : « Et je ferai paraître », dit le Seigneur, « des prodiges dans le ciel, et des miracles sur la terre ». Ces paroles désignent le jugement dernier et la ruine de Jérusalem. « Je ferai paraître du sang et du feu, et une colonne de fumée ; et le soleil sera changé en ténèbres, et la lune en sang ». Quel tableau ! et quelles affreuses calamités ! Ces lugubres emblèmes représentent les maux extrêmes qui arriveront au dernier jour ; et néanmoins, l’historien Josèphe raconte que plusieurs prodiges de ce genre parurent dans les airs, et annoncèrent les désastres de la Judée.