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de la charité ? Elle rend l’homme invincible, elle le multiplie ; d’un seul elle fait plusieurs. Comment un seul homme pourrait-il être en même temps et en Perse et à Rome ? Ce que la nature ne peut point, la charité le peut ; une partie de lui-même sera ici et l’autre là, ou plutôt il sera tout entier là, et tout entier ici. Mais s’il a mille ou dix mille amis, considérez quelle sera sa force, quel sera son pouvoir. Voyez-vous quel pouvoir de multiplication possède la charité ? En effet, qu’un devienne mille, c’est quelque chose d’étonnant et d’admirable. Pourquoi donc n’acquérons-nous pas une si grande puissance, et ne nous mettons-nous pas en sûreté ? Cela vaut mieux que toutes les dignités, et les richesses, et la santé, et que la lumière même. C’est la source de la joie. Jusques à quand bornerons-nous notre charité à un seul et à deux ?

Apprenez à connaître par le contraire les avantages de cette vertu. Supposons quelqu’un qui n’ait point d’amis, ce qui est la marque d’une extrême folie, car il n’y a qu’un insensé qui puisse dire : je n’ai point d’amis. Un homme de cette espèce, quelle vie mènera-t-il ? Fût-il très riche, fût-il dans l’abondance de toutes choses et dans les délices, possédât-il de grandes terres et de gros revenus, il est pauvre, il est nu, il est solitaire et isolé. Il n’en est pas de même de celui qui a des amis ; fût-il pauvre, il vit dans une plus grande opulence que les riches ; et ce qu’il n’oserait dire pour soi, un autre le dira ; ce qu’il ne peut pas se donner lui-même, un autre le lui procurera, ou même beaucoup plus. Ainsi l’union est pour nous un sujet de joie et un port sûr et tranquille. Il ne peut rien arriver de funeste à celui qui est environné de tant de satellites ; les gardes mêmes, qui veillent à la sûreté du prince, n’ont ni tant de vigilance ni tant d’attention. Ceux-ci gardent leur roi par nécessité, ceux-là gardent leur ami par affection et par amour. Or, l’amour a beaucoup plus de force et de pouvoir que la crainte. Le roi est en crainte et en défiance de ses gardes, l’ami se confie à ses amis plus qu’à lui-même, et avec cet appui il ne craint les embûches de personne.

Faisons donc ce marché : le pauvre, pour avoir une consolation dans sa pauvreté ; le riche, pour assurer ses richesses ; le prince, pour régner en sûreté ; le sujet, pour gagner la bienveillante du prince. Ce commerce lie les cœurs et rend la vie douce et agréable. Ainsi, parmi les bêtes, celles qui ne s’unissent pas au troupeau sont les plus cruelles et les plus féroces. Voilà pourquoi nous habitons dans des villes, nous avons des places publiques ; c’est afin de nous voir et de vivre ensemble. Saint Paul ordonne cette société, quand il dit : « Ne nous retirant point des assemblées des fidèles ». (Héb. 10,25) Il n’est rien de pire que d’être seul et privé de la société.

Quoi donc ! direz-vous, et les moines et ceux qui habitent sur les sommets des montagnes ? Les moines ne sont point sans amis, mais en fuyant le tumulte des villes et des places publiques, ils trouvent dans la solitude beaucoup de compagnons que la charité unit et lie étroitement ensemble, et c’est pour se procurer cette douce société qu’ils se retirent. C’est parce que les affaires suscitent toutes sortes de querelles, qu’ils s’en écartent pour donner tous leurs soins à l’exercice de la charité. Mais le solitaire, direz-vous encore, aura-t-il, lui aussi, un si grand nombre d’amis ? Pour moi, à la vérité, je le voudrais bien, que l’on pût vivre tous ensemble, et que la charité se conservât toujours dans toute sa force et sa vigueur, car ce n’est pas le lieu qui fait les amis. Les moines ont bien des gens qui les louent, qui ne les loueraient point s’ils ne les aimaient pas. Et, de leur côté, ils prient pour tout le monde : ce qui est un grand témoignage de leur charité. C’est pour cela que nous nous embrassons mutuellement les uns les autres dans la célébration des saints mystères, afin de ne faire tous qu’un seul corps, quoique nous soyons plusieurs. C’est pour cela que nous prions en commun pour les catéchumènes, pour les malades, pour les fruits de la campagne, pour les habitants de la terre et des mers. Vous voyez que la charité fait paraître sa force et sa vertu dans les prières, dans la participation des saints mystères et dans les exhortations. Elle est la source de tous les biens ; si nous nous y attachons avec zèle et avec ardeur, nous nous conduirons bien en cette vie, et nous obtiendrons le royaume qui nous est promis ; je prie Dieu, de nous l’accorder à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit. Ainsi soit-il.